L’appel du 18 juin, les nouvelles dispositions de la commande publique : indemnisation des surcoûts liés au COVID


La production textuelle est de nouveau dense depuis fin mai, relativement à la reprise des marchés publics et privés.

Tout d’abord, une circulaire interministérielle du 20 mai 2020 adressée aux Préfets les encourage à surveiller, promouvoir, recenser et encourager la reprise des chantiers dans les meilleures conditions possibles.

Rien d’intéressant en revanche s’agissant de la prise en charge des coûts liés tant à l’interruption des chantiers, qu’à leur reprise selon les modalités d’exigence de sécurisation « Covid ».

Il faut alors se pencher sur la circulaire du Premier Ministre du 9 juin 2020.

Le premier Ministre s’adressant aux ministres, et aux secrétaires d’Etat « invite » à mettre en place des mécanismes de prise en charge par les acheteurs publics des surcoûts attachés au Covid dans la reprise des marchés de travaux.

Cette circulaire, bien que s’appliquant aux marchés de l’Etat, à savoir les services centraux et déconcentrés, et les établissements publics de l’Etat, l’on pense fortement que les collectivités territoriales et leurs établissements publics s’en inspireront largement.

A ce titre, nous faisons le constat actuellement que de nombreux marchés sont en attente, en suspension « non-officielle », situation ayant été renforcée par les atermoiements des élections municipales.

Aussi, de nombreux opérateurs économiques entendent, forts des différentes mesures « covid » prises au cours des mois de mars, avril et mai 2020, demander des indemnisations de diverses nature, parfois ne rentrant pas dans les conditions posées par les textes.

Symétriquement, l’on observe de que certains acheteurs « usent » parfois non intentionnellement également, de cette période troublée pour ne pas assurer leur rôle de maître d’ouvrage. Nous faisons l’amer constat des délais de règlement qui s’allongent, des pertes de direction de chantier, des questions posées par les opérateurs et les maîtres d’œuvre qui restent sans réponse.

Aussi, ces textes récents arrivent à la bonne heure pour clarifier les positions.

La Premier Ministre « invite » donc les acheteurs à procéder à la prise en charge des surcoûts Covid selon une double approche :

  • Couts attachés à l’interruption des chantiers :
    • Coûts directs

Lors de l’arrêt brutal de l’exécution des marches de travaux (publics et privés) à partir du 16 mars dernier, qu’il ait été à l’initiative de l’acheteur ou de l’entreprise, des surcoûts directs ont dû être supportés, tels que la mise en sécurité et gardiennage du chantier, la démobilisation des matériels et matériaux, etc…

Le Premier Ministre encourage les acheteurs à prendre en compte ces surcoûts.

Il convient donc de préparer une réclamation à ce titre.

  • Coûts indirects

S’agissant de l’immobilisation du matériel, les frais de personnel non déjà pris en charge par l’acheteur au titre du chômage partiel, frais généraux, marges, pertes de chiffre d’affaires, etc…, ils sont laissés à la charge de l’entreprise ; de même que les coûts d’études et de conduite d’opération pour la préparation de la reprise du chantier.

  • En synthèse sur ce premier point, il est à retenir que l’acheteur public est encouragé à porter les surcoûts directs liés à l’interruption, que la suspension ou l’interruption du marché ait été à l’initiative de l’entreprise ou de l’acheteur !

Ce point est fondamental car de nombreux acheteurs publics, ont stratégiquement, dans l’attente de la position gouvernementale ultérieure, fait le choix de ne pas suspendre ou interrompre le marché, pour que l’entreprise, seule en soit à l’initiative.

Sur ce premier point, ils ont « joué » …. Et ils ont « perdu » !

Ainsi, il faut dès maintenant recenser ces surcoûts directs, les justifier et les présenter au paiement dans le cadre d’une réclamation, ou d’un avenant, ou encore un protocole transactionnel.

  • Couts liés à la reprise des chantiers selon les modalités imposées par l’exigence de sécurisation « Covid » :
    • Coûts directs

L’ensemble des préconisations de sécurité sanitaire OPPBTP à savoir la modification des installations chantier, l’acquisition d’équipements individuels de protection, les nettoyages supplémentaires (matériaux et temps passé), la modification des modalités d’acheminement voire d’hébergement des personnels intervenant sur le chantier, SONT APPELES A ETRE PRIS EN CHARGE PAR L’ACHETEUR.

Cette prise en charge se fera par la commande de travaux ou prestations supplémentaires, ou par la modification en raison de circonstances imprévues.

Le vecteur sera l’avenant en tout état de cause.

  • Coûts indirects

Concernant les pertes de rendement, celles-ci ne seront pas prises en charge par l’acheteur ;

Il est à noter que les chiffres relatifs à ces pertes ne sont pas encore connus, parce que non encore déterminables.

Nous conseillons de ne pas y renoncer, mais au contraire de les conserver dès qu’ils seront connus, et à ne pas les inclure par des effets de clause « balai » dans les accords qu’elles auront trouvés entre-temps sur les autres points (coûts directs).

Ces surcoûts seront présentés alors ultérieurement.

En conclusion, cette circulaire est porteur d’espoir, et il faut s’en prévaloir dès maintenant auprès des acheteurs concernant les surcoûts directs liés à l’interruption des marchés, et aux surcoûts directs liés à la mise en sécurité COVID (masques, réorganisations, temporisations nouvelles, etc…).

D’autant plus que les collectivités territoriales abordent cette fin de crise printanière en meilleure position financière que l’Etat, comme le relève un rapport de la Cour des comptes publié le lundi 6 juillet dernier.

La situation des collectivités territoriales s’est améliorée en 2019 pour la troisième année consécutive avec un niveau de dépenses contenu, notamment en ce qui concerne la masse salariale, souligne la Cour des comptes.

Les collectivités ont engagé l’année dernière 186 milliards d’euros de dépenses de fonctionnement, 64 milliards de dépenses d’investissement, et leur épargne brute a progressé de 8.8%.

Les magistrats soulignent notamment le dynamisme de leurs recettes fiscales (+3.1%) pour un total de 150.7 milliards d’euros en 2019.

Enfin, une bonne nouvelle !

Covid 19 : L’impact de l’état d’urgence sanitaire sur la passation et l’exécution des contrats de la commande publique


Pour faire face à l’épidémie de Covid-19, l’ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020, qui contient 8 articles, apporte des réponses concernant la passation et l’exécution des contrats soumis ou non au code de la commande publique.

Application matérielle et temporelle de l’ordonnance :

L’ordonnance est applicable aux contrats soumis au code de la commande publique ainsi qu’aux contrats publics qui n’en relèvent pas.

Par suite, s’applique-t-elle non seulement aux contrats passés par des acheteurs publics, mais également aux contrats conclus par des personnes morales de droit privé (acheteurs privés) soumis au Code de la commande publique, conformément à l’article L1111-1 du code de la commande publique.

Elle s’applique aux contrats en cours ou conclus durant la période courant du 12 mars 2020 jusqu’à la fin de l’état d’urgence sanitaire déclaré par l’article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, augmentée d’une durée de deux mois (article 1er).

L’article 4 de la loi du 23 mars 2020 dispose que : « l’état d’urgence sanitaire est déclaré pour une durée de deux mois à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi ».

Ledit article prévoit qu’il pourra être mis fin à l’état d’urgence sanitaire avant l’expiration du délai prévu par la loi du 23 mars 2020, ou que celui-ci pourra être prorogé.

Dès lors que la loi relative à l’état d’urgence sanitaire est entrée en vigueur le 24 mars 2020, la fin de l’état d’urgence sanitaire est prévue, à ce jour, au 24 mai 2020.

Ainsi, l’ordonnance 2020-319 s’applique aux contrats en cours ou conclus entre le 12 mars 2020 et le 24 juillet 2020. Cette dernière date est toutefois théorique et incertaine, dès lors que le terme de l’état d’urgence sanitaire pourrait être modifié.

En outre, l’application de l’ordonnance n’est pas systématique. Il est en effet prévu que les dispositions de l’ordonnance ne sont mises en œuvre que dans la mesure où elles sont nécessaires pour faire face aux conséquences, dans la passation et l’exécution de ces contrats, de la propagation de l’épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation (article 1er).

Tous les contrats publics ne sont donc pas concernés et cela signifie qu’un contrôle pourra être opéré par le juge sur l’utilisation et la mise en œuvre qui pourra être faite par les acheteurs des dispositions de l’ordonnance.

A ce stade, il est impossible de pronostiquer la nature du contrôle qui sera exercé sur l’utilisation de ces mesures dérogatoires ; s’agira-t-il d’un simple contrôle restreint limité à l’erreur manifeste d’appréciation, ou bien le Juge ira-t-il faire « l’étiologie » de l’atteinte subie par le contrat à l’aune des circonstances de l’espèce, pour vérifier la posologie de « l’ordonnance n°2020-319 », qui lui aura été administrée.

Les acheteurs doivent donc faire preuve de prudence et apprécier au cas par cas les contrats concernés par le dispositif.

Prolongation des délais de réception des candidatures et des offres (contrats soumis au code de la commande publique) :

Sauf lorsque les prestations objet du contrat ne peuvent souffrir aucun retard, les délais de réception des candidatures et des offres dans les procédures en cours sont prolongés d’une durée suffisante. Cette durée est fixée par l’autorité contractante.

Cette disposition a pour objet de permettre aux opérateurs économiques de présenter leur candidature ou de soumissionner (article 2).

Si les acheteurs souhaitent prolonger les délais de réception des candidatures et des offres, il conviendra de modifier les documents de la consultation des entreprises préalablement mis en en ligne et de publier un avis rectificatif.

Si les offres ont déjà été remises, une prolongation du délai de validité des offres pourra s’avérer nécessaire pour procéder à l’analyse des offres.

Dans cette hypothèse, il conviendra de solliciter l’accord de tous les candidats.

Si le Conseil d’État exige l’accord de tous les soumissionnaire pour que la prolongation soit effective (CE, 24 juin 2011, « Commune de Bourgoin-Jallieu », n° 347889), la Haute Juridiction pourrait être amenée à revenir sur cette condition lorsque la prolongation a pour origine l’état d’urgence sanitaire, comme elle l’a fait lorsque le délai de validité des offres expire du fait d’un référé précontractuel.

En effet, dans cette hypothèse, le Conseil d’Etat considère que la personne publique peut poursuivre la procédure de passation du marché public avec les seuls candidats qui ont accepté la prolongation dudit délai (CE, 10 avril 2015, centre hospitalier territorial de Nouvelle-Calédonie n° 386912).

Cette position est celle retenue par la Direction des Affaires Juridiques (DAJ) du ministère de l’économie et des finances dans sa Foire aux Questions (FAQ) « Les conséquences de la crise sanitaire sur la commande publique », mise en ligne le 30 mars 2020.

Ainsi, après avoir rappelé que l’acheteur ne peut pas décider unilatéralement de prolonger la durée de validité des offres et qu’il doit nécessairement obtenir l’accord des entreprises qui ont déposé une offre, la DAJ précise qu’après avoir contacté chaque soumissionnaire, si certains n’acceptent pas de maintenir leur offre, l’acheteur peut poursuivre la procédure avec les seuls soumissionnaire qui ont accepté la prolongation du délai de validité de leur offre.

La DAJ indique également qu’en procédure négociée, la remise d’un nouvel acte d’engagement vaut accord implicite des candidats quant à la prorogation du délai de validité des offres.

Enfin, il convient de noter que le nouveau délai de validité des offres doit être fixé en prenant en compte deux variables. S’il doit être suffisant pour permettre à l’acheteur d’étudier les offres et de se prononcer, il ne doit pas être excessif afin que l’offre demeure viable pour les entreprises.

Possibilité d’aménager les modalités de la mise en concurrence prévues dans le DCE :

Lorsque les modalités de la mise en concurrence prévues en application du code de la commande publique dans les documents de la consultation des entreprises ne peuvent être respectées par l’autorité contractante, celle-ci peut les aménager en cours de procédure dans le respect du principe d’égalité de traitement des candidats (article 3).

A titre d’illustration, les mentions du dossier de consultation des entreprises relatives aux visites préalables obligatoires ou facultatives et aux réunions de négociation devront nécessairement être modifiées.

La production et livraison d’échantillons seront probablement revues.

L’acheteur devra s’interroger sur un aménagement de ces modalités de la mise en concurrence :

  • Si les prestations, objet du contrat en cours de passation ne peuvent souffrir aucun retard, est-il possible de supprimer les réunions en transmettant les informations par un autre moyen ou de prévoir des réunions en utilisant un moyen de télécommunication audiovisuelle ?
  • Si les délais de remise des candidatures et des offres peuvent être prolongés, des nouvelles dates de visites et de réunions de négociation devront être arrêtées, et il conviendra d’en tenir compte pour fixer les échéances de remise des candidatures et des offres.

 

Possibilité de conclure un avenant pour prolonger la durée des contrats :

Les contrats arrivés à terme entre le 12 mars 2020 et deux mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire, soit le 24 juillet 2020 (date susceptible d’évoluer) peuvent être prolongés par avenant, lorsque l’organisation d’une procédure de mise en concurrence ne peut être mise en œuvre.

Il est prévu que la durée des accords-cadres peut ainsi dépasser quatre ans pour les pouvoirs adjudicateurs et huit ans pour les entités adjudicatrices (sept ans pour les marchés de défense et de sécurité).

Concernant les concessions conclues dans le domaine de l’eau potable, de l’assainissement, des ordures ménagères et autres déchets, leur durée peut être prolongée et être supérieure à 20 ans, sans examen préalable par l’autorité compétente de l’Etat (article 4).

Limite à la prolongation de durée d’exécution des contrats :

La durée de la prolongation des contrats publics ne peut excéder celle de la période prévue à l’article 1er (période courant du 12 mars 2020 jusqu’à la fin de l’état d’urgence sanitaire, augmentée d’une durée de deux mois), augmentée de la durée nécessaire à la remise en concurrence à l’issue de son expiration (article 4).

Ainsi, la durée de la prolongation des contrats ne pourra excéder 4 mois et 12 jours (période entre le 12 mars et le 24 juillet 2020), durée augmentée de la durée nécessaire à la remise en concurrence à l’issue de son expiration.

Il n’est pas possible de prévoir un délai de prolongation identique pour tous les contrats dès lors que la durée nécessaire à la remise en concurrence dépend de chaque type de contrats.

En effet, la durée nécessaire pour la passation d’un marché public sans négociation est nécessairement plus courte que celle nécessaire pour la passation d’une concession, ou d’un marché passé selon une procédure formalisée (appel d’offres, concours, dialogue compétitif).

Modification des conditions de versement des avances :

Les acheteurs peuvent, par avenant, modifier les conditions de versement de l’avance. Son taux peut être porté à un montant supérieur à 60 % du montant du marché ou du bon de commande. Ils ne sont pas tenus d’exiger la constitution d’une garantie à première demande pour les avances supérieures à 30 % du montant du marché (article 5)

 

Mesures relatives aux difficultés d’exécution du contrat (article 6) :

Application matérielle :

Les mesures prévues par l’ordonnance s’appliquent :

  • Nonobstant toute stipulation contractuelle contraire,
  • A l’exception des stipulations qui se trouveraient être plus favorables au titulaire du contrat.

Impossibilité de respect du délai d’exécution sans mise en œuvre de moyens excessifs :

Lorsque le titulaire ne peut pas respecter le délai d’exécution d’une ou plusieurs obligations du contrat ou que cette exécution en temps et en heure nécessiterait des moyens dont la mobilisation ferait peser sur le titulaire une charge manifestement excessive, ce délai est prolongé d’une durée au moins équivalente à celle mentionnée à l’article 1er (période courant du 12 mars 2020 jusqu’à la fin de l’état d’urgence sanitaire, augmentée d’une durée de deux mois).

Cette prolongation intervient sur demande du titulaire et doit être formulée avant l’expiration du délai contractuel.

Impossibilité d’exécuter tout ou partie des prestations sans mise en œuvre de moyens excessifs :

Lorsque le titulaire est dans l’impossibilité d’exécuter tout ou partie d’un bon de commande ou d’un contrat, notamment lorsqu’il démontre qu’il ne dispose pas des moyens suffisants ou que leur mobilisation ferait peser sur lui une charge manifestement excessive :

  • Le titulaire ne peut pas être sanctionné, ni se voir appliquer les pénalités contractuelles, ni voir sa responsabilité contractuelle engagée pour ce motif ;

 

  •  L’acheteur peut conclure un marché de substitution avec un tiers pour satisfaire ceux de ses besoins qui ne peuvent souffrir aucun retard, nonobstant toute clause d’exclusivité et sans que le titulaire du marché initial ne puisse engager, pour ce motif, la responsabilité contractuelle de l’acheteur ; l’exécution du marché de substitution ne peut être effectuée aux frais et risques de ce titulaire.

 

Annulation d’un bon de commande ou résiliation du marché (conséquence de l’état d’urgence sanitaire) :

Lorsque l’annulation d’un bon de commande ou la résiliation du marché par l’acheteur est la conséquence des mesures prises par les autorités administratives compétentes dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, le titulaire peut être indemnisé, par l’acheteur, des dépenses engagées lorsqu’elles sont directement imputables à l’exécution d’un bon de commande annulé ou d’un marché résilié.

Suspension d’un marché à prix forfaitaire et nécessité d’un avenant :

Lorsque l’acheteur est conduit à suspendre un marché à prix forfaitaire dont l’exécution est en cours, il procède sans délai au règlement du marché selon les modalités et pour les montants prévus par le contrat.

A l’issue de la suspension, un avenant est nécessaire. Il détermine :

  • les modifications du contrat éventuellement nécessaires,
  • la reprise du contrat à l’identique ou sa résiliation
  • les sommes dues au titulaire ou, le cas échéant, les sommes dues par ce dernier à l’acheteur.

Suspension de l’exécution d’une concession :

Lorsque le concédant est conduit à suspendre l’exécution d’une concession, tout versement d’une somme au concédant est suspendu et, si la situation de l’opérateur économique le justifie et à hauteur de ses besoins, une avance sur le versement des sommes dues par le concédant peut lui être versée.

Modification des modalités d’exécution d’une concession non suspendue :

Lorsque, sans que la concession soit suspendue, le concédant est conduit à modifier significativement les modalités d’exécution prévues au contrat, le concessionnaire a droit à une indemnité destinée à compenser le surcoût qui résulte de l’exécution, même partielle, du service ou des travaux, lorsque la poursuite de l’exécution de la concession impose la mise en œuvre de moyens supplémentaires qui n’étaient pas prévus au contrat initial et qui représenteraient une charge manifestement excessive au regard de la situation financière du concessionnaire.

Cet aménagement procède du principe du droit à l’équilibre financier, dont l’acheteur public est débiteur vis-à-vis de son cocontractant.

L’autorité délégante ne peut modifier unilatéralement une offre


Par un arrêt rendu le 20 décembre 2019(1), le Conseil d’État a précisé les pouvoirs d’une autorité délégante. En effet, si l’autorité délégante peut négocier librement les offres des candidats, elle ne peut en revanche modifier ou compléter de sa propre initiative et unilatéralement une offre. Les juges du Palais Royal ont donc confirmé la décision des juges d’appel qui avaient prononcé la résiliation du contrat de délégation de service public.

Le 2 mars 2012, la Communauté de communes de Sélestat, a par avis d’appel public à la concurrence lancé une procédure de passation d’un contrat de délégation de service public pour la gestion et l’exploitation des services de la petite enfance sur son territoire. Deux associations (Farandole et l’Association de Gestion des Equipements Sociaux (AGES)), parmi les onze candidats retenus, ont été invitées sur proposition de la commission de délégation de service public de l’intercommunalité à participer à la phase de négociation avec l’autorité délégante.

Par une délibération du 3 juin 2013, le conseil communautaire de Sélestat a validé l’offre de l’association Farandole au détriment de celle de l’AGES, terminant deuxième au classement des offres. Le contrat de délégation de service public a été signé le 2 juillet 2013 et a pris effet le 3 août 2013. L’association évincée a saisi le tribunal administratif de Strasbourg d’un recours en contestation de validité du contrat assorti d’une demande indemnitaire fondée sur le préjudice subi de ne pas avoir été retenue. Condamnée en 1e instance, la communauté de communes a interjeté appel du jugement devant la Cour administrative d’appel de Nancy, qui a confirmé la position du tribunal administratif de Strasbourg. L’établissement public de coopération intercommunale a donc formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État.

L’interruption par un recours gracieux du délai de recours contentieux

L’association évincée avait formé un recours gracieux auprès de la communauté de communes de Sélestat dans les deux mois qui ont suivi la délibération de la personne publique ayant attribué le contrat de délégation de service public à l’association Farandole. Le Conseil d’État a fait application de l’article L.411-2 du code des
relations entre le public et l’administration(2), créé depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 23 octobre 2015(3). Il a estimé que ce recours gracieux avait interrompu le délai de recours contentieux, qui a commencé à courir à compter du rejet implicite ou explicite de l’Administration, qui dans le cas d’espèce est intervenu le 30 octobre 2013 par courrier. Ainsi, la Haute juridiction administrative a considéré que la Cour administrative d’appel de Nancy n’avait pas commis d’erreur de droit en estimant que la demande de première instance n’était pas tardive, celle-ci ayant été enregistrée le 31 décembre 2013 devant le tribunal administratif de Strasbourg. Cette analyse se situe dans la lignée de la décision du 28 juin 2019, par laquelle le Conseil d’Etat avait jugé que l’exercice d’un recours gracieux par le préfet interrompait le délai de recours contentieux de la validité du contrat(4). Cette prérogative est donc étendue aux tiers.

L’interdiction des modifications substantielles unilatérales

La Communauté de communes de Sélestat avait adressé un cahier des charges aux candidats qui prévoyait que la rémunération du délégataire comprendrait les participations familiales, la prestation de service unique (PSU), ainsi que la participation de la communauté de communes au titre du fonctionnement.
En revanche, aucun document de l’appel d’offre n’indiquait le taux de PSU de référence. Les taux de PSU établis dans les offres respectives de l’Association Farandole et de l’AGES différaient. La Communauté de communes de Sélestat a donc, pour comparer les offres des deux associations précitées, recalculé l’offre de l’AGES en substituant au montant moyen de PSU de 4,72 euros, proposé par l’AGES, le taux de 4,44 euros qu’avait retenu l’association La Farandole. Cette modification a eu pour conséquence de réduire l’attractivité de l’offre établie par l’AGES et de favoriser celle de La Farandole, qui pouvait être regardée comme plus favorable. Si le Conseil d’Etat a pris le soin de citer le dernier alinéa de l’article L .1411-1 du code général des collectivités territoriales en vertu duquel “Les offres ainsi présentées sont librement négociées par l’autorité responsable de la personne publique délégante qui, au terme de ces négociations, choisit le délégataire.”, il a néanmoins souligné le fait que ces dispositions ne permettaient pas à la personne publique délégante de modifier unilatéralement “une offre dont elle estimerait que les prestations ne respectent pas les caractéristiques quantitatives et qualitatives qu’elle a définies.” La communauté de communes de Sélestat, qui n’avait pas défini le taux de référence de PSU dans les documents de l’appel d’offre, a procédé à une rupture d’égalité de traitement en uniformisant volontairement les taux des associations AGES et La Farandole.

L’autorité délégante n’a pas à se substituer au candidat…même pour le rattraper.

(1) Conseil d’Etat, 20 décembre 2019, req n°41999.

2) Article L.411-2 du code des relations entre le public et l’administration : toute décision administrative peut faire l’objet, dans le délai imparti pour l’introduction d’un recours contentieux, d’un recours gracieux ou hiérarchique qui interrompt le cours de ce délai. Lorsque dans le délai initial du recours contentieux ouvert à l’encontre de la décision, sont exercés contre cette décision un recours gracieux et un recours hiérarchique, le délai du recours contentieux, prorogé par l’exercice de ces recours administratifs, ne recommence à courir à l’égard de la décision initiale que lorsqu’ils ont été l’un et l’autre rejetés.
(3) Ordonnance n°2015-1341 du 23 octobre 2015.
(4) Conseil d’Etat, 28 juin 2019, req n°420776.

Précisions sur l’offre anormalement basse et la détermination préalable des besoins dans le cadre d’un contrat de concession


Par un arrêt rendu le 26 février 2020[1], le Conseil  d’État a apporté des précisions quant à l’application de l’offre anormalement basse aux contrats de concessions, ainsi qu’à la marge d’appréciation laissée à l’autorité concédante pour déterminer préalablement ses besoins. En effet, les juges du Palais Royal ont pu juger que la prohibition des offres anormalement basses n’était pas applicable aux contrats de concession. Plus encore, la Haute juridiction a considéré que l’autorité concédante, lorsqu’elle estime qu’elle est susceptible de commander des prestations supplémentaires au cours de l’exécution du contrat de concession, sans pour autant en déterminer le volume exact, peut fixer un critère d’appréciation fondé sur la comparaison entre des prix unitaires proposés par les candidats.

 

Rappel des faits

Le 11 février 2019, par un avis d’appel public à la concurrence, la commune de Saint-Julien-en-Genevois a lancé une procédure de concession de services portant sur la mise à disposition, l’installation, la maintenance, l’entretien et l’exploitation commerciale d’abris voyageurs et de mobiliers urbains. Deux entreprises ont candidaté et ont été admises à concourir : JCDecaux et la société Girod Médias. Suite à la phase de négociation et à l’analyse des offres, la commune a choisi d’attribuer le contrat de concession à la société Girod Médias.

La société JCDecaux a alors formé un référé précontractuel devant le tribunal administratif de Grenoble, lequel a rendu une ordonnance en date du 15 novembre 2019.  Le juge des référés annulait la procédure de passation de la concession et enjoignait à la commune de Saint-Julien-en-Genevois de reprendre la procédure de passation au stade de l’analyse des candidatures.

L’autorité concédante a donc formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat, demandant l’annulation de l’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Grenoble. La juridiction du Palais Royal a censuré l’ordonnance du juge du référé précontractuel.

 

L’inapplication des offres anormalement basses aux concessions

La société évincée, JCDecaux, soutenait que l’offre de la Société Girod Médias était anormalement basse. Le Conseil d’État rappelle que le régime des concessions diffère de celui des marchés publics. Si les offres anormalement basses sont prohibées en matière de marchés publics[2],  la Haute Juridiction dispose que : « La prohibition des offres anormalement basses et le régime juridique relatif aux conditions dans lesquelles de telles offres peuvent être détectées ou rejetées ne sont pas applicables, en tant que tels, aux concessions. »

Cette solution n’est pas illogique, en ce qu’aucune disposition du Code de la commande publique ne prohibe les offres anormalement basses s’agissant des concessions.

Une large prérogative laissée à l’autorité concédante s’agissant de la définition préalable du besoin

La commune de Saint-Julien-en-Genevois avait prévu, dans le cadre de la passation du contrat de concession,  un critère de jugement des offres qui portait sur le coût d’achat de prestations complémentaires. Ces prestations étaient évaluées sur la base du prix unitaire que les candidats devaient indiquer dans le tableau figurant en annexe du cahier des charges de la concession.

Pour annuler la procédure de passation du contrat de concession, le juge des référés s’était fondé sur le fait que le règlement de consultation mentionnait la possibilité de commander des prestations supplémentaires, sans pour autant fixer des limites quantitatives pour ces prestations.

Si la détermination préalable des besoins de l’acheteur est fixée par l’article L3111-1 du Code de la commande publique[3], le Conseil d’État semble adopter une vision souple de ce principe. En effet, la Haute Juridiction considère qu’il est possible pour une autorité concédante, lorsqu’elle estime qu’elle pourrait être placée dans la nécessité de commander des prestations supplémentaires au cours de l’exécution du contrat, sans être en capacité d’en déterminer le volume exact, de fixer un critère d’appréciation des offres fondé sur la comparaison entre des prix unitaires fixés par les candidats pour ces prestations.

Ainsi, la juridiction administrative a annulé l’ordonnance du juge des référés précontractuels pour erreur de droit.

La vision adoptée par le Conseil d’État dans son arrêt rendu le 26 février 2020 semble être à contre-courant de sa jurisprudence antérieure. A titre d’exemple, la Haute Juridiction avait censuré la procédure de passation d’une concession dont le périmètre et le montant des investissements manquaient de précisions. Elle avait alors estimé que la détermination préalable des besoins de l’acheteur était insuffisante[4].

Cette jurisprudence, plutôt inédite,  est donc amplement favorable aux acheteurs… au détriment des candidats.

[1] Conseil d’Etat, 26 février 2020, Commune de Saint-Julien-en-Genevois, n°436428

[2] Articles L2152-5 et suivants du Code de la commande publique

[3] Article L3111-1 du Code de la commande publique : « La nature et l’étendue des besoins à satisfaire sont déterminées avant le lancement de la consultation en prenant en compte des objectifs de développement durable dans leurs dimensions économique, sociale et environnementale. »

[4] Conseil d’Etat, Commune du Havre, 15 novembre 2017, n°412644

image

Créé en 2014, AXONE Avocats Droit Public est composé d’experts dans le domaine du Droit Public et Privé des collectivités publiques et de leurs satellites.
Nous répondons à des questions spécialisées dans tous les domaines du droit public et des problématiques de droit privé, qu’impliquent le fonctionnement et les actions des personnes publiques.

Contact

Où sommes nous?

[osmapper id="7055"]