L’autorité délégante ne peut modifier unilatéralement une offre


Par un arrêt rendu le 20 décembre 2019(1), le Conseil d’État a précisé les pouvoirs d’une autorité délégante. En effet, si l’autorité délégante peut négocier librement les offres des candidats, elle ne peut en revanche modifier ou compléter de sa propre initiative et unilatéralement une offre. Les juges du Palais Royal ont donc confirmé la décision des juges d’appel qui avaient prononcé la résiliation du contrat de délégation de service public.

Le 2 mars 2012, la Communauté de communes de Sélestat, a par avis d’appel public à la concurrence lancé une procédure de passation d’un contrat de délégation de service public pour la gestion et l’exploitation des services de la petite enfance sur son territoire. Deux associations (Farandole et l’Association de Gestion des Equipements Sociaux (AGES)), parmi les onze candidats retenus, ont été invitées sur proposition de la commission de délégation de service public de l’intercommunalité à participer à la phase de négociation avec l’autorité délégante.

Par une délibération du 3 juin 2013, le conseil communautaire de Sélestat a validé l’offre de l’association Farandole au détriment de celle de l’AGES, terminant deuxième au classement des offres. Le contrat de délégation de service public a été signé le 2 juillet 2013 et a pris effet le 3 août 2013. L’association évincée a saisi le tribunal administratif de Strasbourg d’un recours en contestation de validité du contrat assorti d’une demande indemnitaire fondée sur le préjudice subi de ne pas avoir été retenue. Condamnée en 1e instance, la communauté de communes a interjeté appel du jugement devant la Cour administrative d’appel de Nancy, qui a confirmé la position du tribunal administratif de Strasbourg. L’établissement public de coopération intercommunale a donc formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État.

L’interruption par un recours gracieux du délai de recours contentieux

L’association évincée avait formé un recours gracieux auprès de la communauté de communes de Sélestat dans les deux mois qui ont suivi la délibération de la personne publique ayant attribué le contrat de délégation de service public à l’association Farandole. Le Conseil d’État a fait application de l’article L.411-2 du code des
relations entre le public et l’administration(2), créé depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 23 octobre 2015(3). Il a estimé que ce recours gracieux avait interrompu le délai de recours contentieux, qui a commencé à courir à compter du rejet implicite ou explicite de l’Administration, qui dans le cas d’espèce est intervenu le 30 octobre 2013 par courrier. Ainsi, la Haute juridiction administrative a considéré que la Cour administrative d’appel de Nancy n’avait pas commis d’erreur de droit en estimant que la demande de première instance n’était pas tardive, celle-ci ayant été enregistrée le 31 décembre 2013 devant le tribunal administratif de Strasbourg. Cette analyse se situe dans la lignée de la décision du 28 juin 2019, par laquelle le Conseil d’Etat avait jugé que l’exercice d’un recours gracieux par le préfet interrompait le délai de recours contentieux de la validité du contrat(4). Cette prérogative est donc étendue aux tiers.

L’interdiction des modifications substantielles unilatérales

La Communauté de communes de Sélestat avait adressé un cahier des charges aux candidats qui prévoyait que la rémunération du délégataire comprendrait les participations familiales, la prestation de service unique (PSU), ainsi que la participation de la communauté de communes au titre du fonctionnement.
En revanche, aucun document de l’appel d’offre n’indiquait le taux de PSU de référence. Les taux de PSU établis dans les offres respectives de l’Association Farandole et de l’AGES différaient. La Communauté de communes de Sélestat a donc, pour comparer les offres des deux associations précitées, recalculé l’offre de l’AGES en substituant au montant moyen de PSU de 4,72 euros, proposé par l’AGES, le taux de 4,44 euros qu’avait retenu l’association La Farandole. Cette modification a eu pour conséquence de réduire l’attractivité de l’offre établie par l’AGES et de favoriser celle de La Farandole, qui pouvait être regardée comme plus favorable. Si le Conseil d’Etat a pris le soin de citer le dernier alinéa de l’article L .1411-1 du code général des collectivités territoriales en vertu duquel “Les offres ainsi présentées sont librement négociées par l’autorité responsable de la personne publique délégante qui, au terme de ces négociations, choisit le délégataire.”, il a néanmoins souligné le fait que ces dispositions ne permettaient pas à la personne publique délégante de modifier unilatéralement “une offre dont elle estimerait que les prestations ne respectent pas les caractéristiques quantitatives et qualitatives qu’elle a définies.” La communauté de communes de Sélestat, qui n’avait pas défini le taux de référence de PSU dans les documents de l’appel d’offre, a procédé à une rupture d’égalité de traitement en uniformisant volontairement les taux des associations AGES et La Farandole.

L’autorité délégante n’a pas à se substituer au candidat…même pour le rattraper.

(1) Conseil d’Etat, 20 décembre 2019, req n°41999.

2) Article L.411-2 du code des relations entre le public et l’administration : toute décision administrative peut faire l’objet, dans le délai imparti pour l’introduction d’un recours contentieux, d’un recours gracieux ou hiérarchique qui interrompt le cours de ce délai. Lorsque dans le délai initial du recours contentieux ouvert à l’encontre de la décision, sont exercés contre cette décision un recours gracieux et un recours hiérarchique, le délai du recours contentieux, prorogé par l’exercice de ces recours administratifs, ne recommence à courir à l’égard de la décision initiale que lorsqu’ils ont été l’un et l’autre rejetés.
(3) Ordonnance n°2015-1341 du 23 octobre 2015.
(4) Conseil d’Etat, 28 juin 2019, req n°420776.

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