Par un Arrêt de la Cour Administrative d’Appel de Lyon du 2 septembre 2019 (n° 17LY02724), les Magistrats lyonnais confirment une position jurisprudentielle établie de longue date et stable, selon laquelle la responsabilité du maître d’ouvrage à l’égard d’un sous-traitant occulte n’est pas automatique.
Début 2009, la commune de Saint- Vincent-de-Mercuze a confié à un architecte, Monsieur B., une mission de maîtrise d’œuvre concernant une opération de réhabilitation d’une salle polyvalente. Parmi les lots travaux, la société J.C.D. avait la charge de réalise le revêtement de sol. Cette société J.C.D. a recouru, pour partie des travaux qui lui incombaient, au sous-traitant Peintaconcept.
Tout au long du chantier la société JCD a négligé de faire accepter son sous-traitant, et d’agréer ses conditions de paiement par le maître d’ouvrage, conformément à la loi du 31 décembre 1975.
Une liquidation judiciaire qui complique la situation
Début janvier 2010, la réception a été refusée par le maître d’oeuvre, en raison de désordres conséquents affectant la surface des sols. Par conséquent, la commune n’a donc pas rémunéré son cocontractant, la société J.C.D. concernant le lot “Revêtement de sols”, et bien évidemment, la société J.C.D, par cascade, a également refusé de payer son sous-traitant, la société Peintaconcept. Par une première voie contentieuse, la société Peintaconcept a saisi le Tribunal de Commerce de Chambéry, pour obtenir la rémunération de ses prestations. Elle a obtenu la condamnation de la société J.C.D. à lui payer, dans un rapport contractuel direct de droit privé, les sommes qu’elle lui devait, mais malheureusement, entre-temps, la société J.C.D. est tombée en liquidation judiciaire.
La responsabilité du maître d’ouvrage recherchée par le sous-traitant
Par conséquent, la seule voie de recours dont disposait ce sous-traitant occulte, par la faute de l’entreprise principale, pour récupérer son argent, consistait à entamer par-devant la juridiction administrative une action fondée sur l’article 14-1, de la loi du 31 décembre 1975, modifié aujourd’hui par le Code de la commande, allant chercher la responsabilité du maître d’ouvrage sur la base de sa responsabilité quasi-délictuelle, du fait de ne pas avoir mis en demeure l’entreprise principale de procéder à ses obligations, à savoir la déclaration de sous-traitance, et sa responsabilité quasicontractuelle, fondée sur l’enrichissement sans cause du fait des dépenses utiles engagées. Tout d’abord, les Magistrats lyonnais ont évacué la responsabilité quasicontractuelle du maître d’ouvrage. En effet, les Magistrats ont considéré qu’eu égard aux malfaçons, aux frais et réfections des revêtements qui étaient nécessaires et qui ont été estimés par le Tribunal de Commerce de Chambéry, il ne pouvait pas être considéré que les dépenses engagées par la société Peintaconcept, dans ce cadre quasicontractuel,
auraient présenté un caractère utile pour la collectivité, et donc auraient constitué un enrichissement sans cause pour elle. Par conséquent, les Magistrats lyonnais déclinent cet engagement de responsabilité quasi-contractuelle. Sur la responsabilité quasi-délictuelle, nous revenons là à une considération plus classique de la responsabilité concernant la déclaration du sous-traitant. Bien évidemment, la Cour rappelle le principe classique selon lequel, dès lors que le maître d’ouvrage a connaissance sur le chantier de l’existence et de la réalisation d’une prestation sous-traitée, il a l’obligation de mettre en demeure son cocontractant direct, l’entreprise principale, de faire connaître son sous-traitant par l’acte de déclaration de sous-traitance et d’agrément des conditions de paiement. Cette position est rappelée évidemment constamment par les juridictions administratives (cf. Conseil d’État, 28 mai 2001, n° 2005449, SA Bernard Travaux Polynésie). Cela dit, la Cour ajoute que cette responsabilité n’est pas automatique, et que la connaissance du maître d’œuvre concernant l’existence du sous-traitant ne peut pas être transposée sur celle du maître d’ouvrage. En effet, il considère que le maître d’ouvrage peut voir sa responsabilité engager dès lors que le sous-traitant démontre – et c’est à lui de le faire – qu’il a entretenu des relations directes et caractérisées, qui conduiraient à regarder la collectivité comme suffisamment informée de la nature de l’intervention de la société Peintaconcept sur le chantier, et des liens de celle-ci avec l’entrepreneur principal.
Un arrêt avec une double considération
Ainsi, il y a dans cet arrêt effectivement une double considération : d’abord sur la temporalité qui consiste à considérer que le sous-traitant qui s’est manifesté auprès du maître d’ouvrage qu’après la réception, bien évidemment obère l’éventuel engagement de responsabilité du maître d’ouvrage, dans la mesure où il lui appartenait positivement de se manifester, en cours de chantier, donc avant la réception, et de démontrer l’existence de relations directes et caractérisées, qu’il entretenait avec le maître d’ouvrage. À côté de cette exigence de temporalité, est également exigée la démonstration de la matérialité même de la relation qu’il entretenait avec le maître
d’ouvrage. Ainsi, l’on peut caractériser cette jurisprudence comme sévère à l’endroit du sous-traitant occulte, “abandonné” par son entreprise principale, dans la mesure où trois exigences s’imposent à lui : tout d’abord, il doit démontrer les caractéristiques d’une nature particulière de relations avec le maître d’ouvrage. Il ne suffit pas qu’il ait une relation ou des rapports avec le maître d’ouvrage. Il convient que cette relation soit directe. Le caractère direct de la relation peut interpeler puisque le seul lien contractuel que le sous-traitant bénéficie est celui qu’il a avec son cocontractant direct, c’est-à-dire l’entrepreneur principal ; mais ne présentant aucun lien contractuel avec le maître d’ouvrage. Il convient deuxièmement que ces relations soient caractérisées.
On pourrait considérer qu’il s’agit d’une implication, d’un approfondissement des relations dans la mesure où il y pourrait y avoir des échanges au cours des réunions de chantier, au cours de certains documents écrits ; qu’il y ait éventuellement des courriers échangés entre le maître d’ouvrage et le sous-traitant, même si dans la pratique, ceux-ci sont très rares puisque l’entrepreneur fait écran effectivement sur ce sujet. Et enfin, troisièmement, le sous-traitant doit aussi démontrer d’abord l’existence et la nature des liens qu’il entretient avec l’entrepreneur principal, ce qui suppose que le sous-traitant doit faire part au maître d’ouvrage de son contrat de sous-traitance. Or, l’on sait très bien que dans la pratique, les entrepreneurs principaux, quel que soit le marché, particulièrement les marchés de travaux, sont très réticents – il s’agit d’une litote – à autoriser leur sous-traitant à communiquer des documents contractuels démontrant le lien ou notamment les rapports financiers entretenus avec le cocontractant, l’entreprise principale.
Ce qu’il faut retenir de cet arrêt
Par conséquent, il y a un décalage entre les exigences théoriques d’engagement de responsabilité du maître d’ouvrage et la pratique de la sous-traitance dans les marchés de travaux, qu’ils soient publics ou privés. S’ajoute encore une exigence complémentaire, à savoir que la responsabilité du maître d’ouvrage peut être engagée que s’il a été constaté que ce dernier a négligé la présence du sous-traitant, alors qu’il en avait connaissance, pendant une période suffisamment longue, pour être considérée comme significative. (cf. Cour Administrative d’Appel de Bordeaux,
5 juin 2003, n° 99BX00538).
Rappelons également, dans un souci pratique, que la simple participation du sous-traitant à une réunion de chantier ne traduit pas une collaboration effective (une relation directe et caractérisée) avec le maître d’ouvrage, ni l’existence de relation directe et caractérisée (cf. Cour Administrative d’Appel de Paris, 23 novembre 2004, n° 00PA01809). Enfin, cet arrêt apporte un élément intéressant qui n’est pas nouveau dans la théorie, mais qui apporte une expression d’un principe, consistant à considérer qu’en l’espèce, si le maître d’ouvrage pouvait reprocher à son maître d’œuvre de ne pas l’avoir suffisamment informé de la présence de ce sous-traitant irrégulier sur le chantier, le sous-traitant irrégulier quant à lui, ne peut se prévaloir d’aucune faute du maître d’œuvre à son endroit. Ainsi, en conclusion, l’on parle souvent du privilège du sous-traitant et le fait qu’en tout état de cause, il obtiendra paiement, soit par l’entreprise principale, soit par le maître d’ouvrage, des prestations qu’il a engagées. Ce principe se heurte à une réalité bien différente, comme on vient de le voir dans cet arrêt. De nombreuses conditions sont posées pour engager la responsabilité du maître d’ouvrage. Premièrement, celle-ci n’est pas automatique, et deuxièmement, les choses se compliquent sérieusement pour le sous-traitant, dès lors que l’entreprise principale, son cocontractant, est défaillante, comme c’est le cas en l’espèce. Le sous-traitant se retrouve alors seul face au maître d’ouvrage à devoir démontrer les éléments qui viennent d’être développés.
Par conséquent, le maître d’ouvrage est au final tout de même relativement protégé, quant à un engagement automatique de la responsabilité qu’un sous-traitant occulte pourrait lui opposer.