Un droit d’occupation du domaine public ne peut pas être perpétuel


Par un arrêt rendu le 8 novembre 2019[1], le Conseil d’État a apporté des précisions s’agissant de la portée d’une « clause de destination » contenue dans un acte de cession de biens immobiliers conclu avec une personne publique.

La Haute juridiction a en effet pu juger que l’acte de cession de parcelles d’une association sportive à une commune qui prévoit un droit d’occupation illimité au bénéfice de l’association est incompatible avec le régime de la domanialité publique, mais ne remet pas en cause l’entrée des parcelles dans le domaine public communal.

 

  • La prédominance du régime de de la domanialité publique sur la clause de destination

 

En l’espèce, l’association du Club seynois multi-sport avait cédé à la commune de la Seyne-sur-Mer plusieurs parcelles, par acte administratif de cession amiable puis par acte notarié, en prévoyant que celles-ci seraient exclusivement réservées aux activités sportives de tennis de l’association.

En contrepartie de cette cession gracieuse, la commune de la Seyne-sur-Mer avait donc mis à disposition de ladite association les équipements du complexe tennistique.

Toutefois, en 2014, la commune avait notifié à l’association son intention de ne pas renouveler conventionnellement cette autorisation d’occupation à son échéance quinquennale.

Face à un refus de l’association de quitter les lieux, elle avait était amenée à saisir le juge administratif dans l’objectif d’obtenir l’expulsion de l’association sportive du complexe tennistique.

Par un jugement en date du 12 octobre 2017, le Tribunal administratif de Toulon a fait droit à la demande d’expulsion de la commune, ce qui a conduit l’association à interjeter appel de cette décision.

La Cour administrative d’appel de Marseille a toutefois rejeté l’appel de l’association sportive en estimant que la clause du contrat de cession qui prévoyait que le complexe tennistique, ainsi que son extension future, seraient exclusivement réservés aux activités sportives de l’association, à supposer qu’elle doive être interprétée comme emportant pour celle-ci un droit d’utilisation perpétuelle de ces installations, était incompatible avec le régime de la domanialité publique.

Déboutée de ses demandes par les juges du fond, l’association du Club seynois a donc formé un pourvoi devant le Conseil d’État, afin d’obtenir l’annulation de l’arrêt décidé en appel et que la Haute juridiction se prononce au fond sur la légalité de la demande d’expulsion de la commune.

Le Conseil d’État a cependant rejeté le pourvoi de l’association, en suivant un raisonnement en trois temps.

En effet, la Haute Assemblée a d’abord démontré que les dépendances cédées relevaient du domaine public communal dès lors que les équipements sportifs, qui sont de propriété communale, étaient affectés au service public d’activité sportive et qu’ils étaient ainsi spécialement aménagés à cet effet.

Ensuite, le Conseil d’État a pu considérer que la clause contractuelle relative à la destination des biens était incompatible avec le régime juridique de la domanialité publique, et que l’association sportive ne pouvait en tout état de cause pas se prévaloir de l’existence d’une quelconque servitude conventionnelle lui donnant un droit d’occupation sur lesdites dépendances :

« L’association ne pouvait tirer de cette clause, qui n’a en tout état de cause pas la nature d’une servitude conventionnelle en l’absence de tout fonds servant ou dominant, un droit d’occupation des dépendances domaniales en litige. Elle n’a pas davantage entaché son arrêt d’erreur de droit en s’abstenant de déduire de l’incompatibilité de cette clause avec le régime de la domanialité publique qu’elle aurait fait obstacle à l’entrée des parcelles en litige dans le domaine public communal ».

Enfin, après avoir établi que le refus de la commune de renouveler la convention était devenu définitif et que l’association était, au terme de cette convention, dépourvue de toute titre d’occupation des parcelles en cause, la Haute juridiction a conclu à la légalité de l’expulsion de l’association sportive  qui ne disposait donc pas de titre pour occuper les équipements du complexe sportif, relevant du domaine public communal.

 

  • Une jurisprudence rejoignant le principe d’absence au droit au renouvellement des occupations du domaine public

 

Le caractère non perpétuel de l’occupation du domaine public, affirmé par cet arrêt du Conseil d’Etat du 8 novembre 2019, rejoint la position prise par la Cour administrative d’appel de Lyon dans son arrêt en date du 2 septembre 2019[2], par lequel celle-ci a affirmé l’absence du droit au renouvellement des occupations du domaine public.

En effet, par cette décision récente, la cour administrative d’appel de Lyon a pu juger qu’une décision refusant le renouvellement d’un contrat administratif – une convention d’occupation du domaine public en l’occurrence – ne peut faire l’objet d’un recours tendant à la reprise des relations contractuelles, communément appelé recours « Béziers II ». En effet, seules les décisions de résiliation de ces conventions d’occupations relèvent du champ d’application d’un tel recours juridictionnel.

Ainsi, dans une pareille situation, le cocontractant de l’autorité administrative a pour seule possibilité de saisir le juge du contrat, afin de solliciter l’indemnisation des préjudices qu’il a subis, et résultant de la décision de la personne publique de ne pas renouveler ces conventions d’occupation du domaine public.

La Cour administrative de Lyon a d’ailleurs rappelé, pour justifier sa compétence dans un tel cas d’espèce, les conditions de qualification d’un service public dans la mesure où celui-ci est pris en charge par une personne morale de droit privé, en l’occurrence une association, et sans que cette dernière ne dispose de prérogatives de puissance publique :

« Même en l’absence de telles prérogatives, une personne privée doit également être regardée, dans le silence de la loi, comme assurant une mission de service public lorsque, eu égard à l’intérêt général de son activité, aux conditions de sa création, de son organisation ou de son fonctionnement, aux obligations qui lui sont imposées ainsi qu’aux mesures prises pour vérifier que les objectifs qui lui sont assignés sont atteints, il apparaît que l’administration a entendu lui confier une telle mission. »[3]

 

  • Le mot d’ordre : maîtriser le régime juridique applicable aux conventions d’occupation du domaine public

 

Comme exposé ci-dessus, les occupants du domaine public ne bénéficient pas d’un droit d’occupation perpétuel, ni d’un droit au renouvellement des conventions d’occupation domaniale dont ils disposent, eu égard au fait que le régime juridique applicable à de telles conventions prime sur toute clause contractuelle contraire.

Ainsi, ces opérateurs économiques doivent maîtriser au mieux les règles applicables à ces conventions, qui ont d’ailleurs subi un profond changement suite à l’entrée en vigueur de l’ordonnance n°2017-562 du 19 avril 2017 relative à la propriété des personnes publiques, modifiant le Code général de la propriété des personnes publiques ainsi que le Code Général des Collectivités Territoriales.

Classiquement, la convention d’occupation du domaine public est un contrat conclu pour une durée déterminée. Le Code général de la propriété des personnes publiques prévoit à cet égard que l’occupation ou l’utilisation du domaine public ne peut être que temporaire, et présente un caractère précaire et révocable[4].

Par ailleurs, l’ordonnance du 19 avril 2017 précitée a institué, pour la délivrance d’un tel titre d’occupation, une procédure de publicité préalable et une sélection des candidats potentiels, dès lors qu’il y a une exploitation économique projetée.

Ainsi, depuis le 1er juillet 2017, dès lors qu’un titre d’occupation a pour effet de permettre l’exercice d’une activité économique sur le domaine public, son octroi devra être précédé d’une « procédure de sélection préalable présentant toutes les garanties d’impartialité et de transparence, et comportant des mesures de publicité permettant aux candidats potentiels de se manifester »[5], comme le prévoit expressément le Code général de la propriété des personnes publiques.

 

[1] Conseil d’Etat, 8 novembre 2019, Association Club seynois multisport, n°421491

[2] Cour administrative d’appel de Lyon, 2 septembre 2019, n°17LY02937

[3] Référence à l’arrêt du Conseil d’Etat, Section, 22 février 2007, APREI, n° 264541

[4] Articles L. 2122-2 et L. 2122-3 du Code général de la propriété des personnes publiques

[5] Article L. 2122-1-1, al. 1 du Code général de la propriété des personnes publiques ; article 3 de l’ordonnance n°2017-562.

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