L’offre à zéro euro : rejet automatique de l’offre sans contrepartie financière ou application de la procédure relative aux offres anormalement basse ?


Par une décision du 10 septembre 2020[1], la Cour de justice de l’Union européenne a apporté des précisions s’agissant du champ d’application de la notion « d’offre anormalement basse ».

Pour mémoire, la notion d’offre anormalement basse, orpheline d’une quelconque définition en droit européen, s’entend en droit interne d’une offre « dont le prix est manifestement sous-évalué et de nature à compromettre la bonne exécution du marché »[2].

Dans le cadre d’une telle offre, la Cour a défini, dans sa directive 2014/24, une procédure particulière devant être appliquée par les pouvoirs adjudicateurs, afin de justifier le rejet d’une offre qualifiée d’anormalement basse.

En ce sens, l’article 69 de ladite directive énonce que les pouvoirs adjudicateurs doivent exiger que les opérateurs économiques expliquent le prix ou les coûts proposés dans l’offre, lorsque celle-ci semble anormalement basse eu égard aux travaux, fournitures ou services. Le soumissionnaire doit alors être en mesure de la justifier au regard, par exemple, de l’économie du procédé de fabrication des produits, de la prestation des services ou du procédé de construction ; des solutions techniques adoptées ou les conditions exceptionnellement favorables dont dispose le soumissionnaire pour fournir les produits ou les services ou pour exécuter les travaux ; de l’originalité des travaux, des fournitures ou des services proposés par le soumissionnaire ; du respect des obligations visées à l’article 18, paragraphe 2 ; du respect des obligations visées à l’article 71 ; ou de l’obtention éventuelle d’une aide d’Etat par le soumissionnaire.

A défaut d’explication satisfaisante, le pouvoir adjudicateur peut discrétionnairement considérer que les explications et justifications fournies par le soumissionnaire ne sont pas de nature à renverser la présomption d’offre anormalement basse, la rejeter de ce chef en ce qu’elle contrevient aux obligations de l’article 18, paragraphe 2 de la directive.

C’est dans le cadre d’une offre particulièrement basse, puisque s’agissant d’une offre à un prix de zéro euro, que la Cour de justice de l’Union européenne a été saisie par la juridiction nationale slovène.

Les faits à l’origine de l’affaire C-367/19 

Dans l’affaire C-367/19, le ministère slovène a publié un avis de marché public portant sur l’accès à un système informatique juridique pour une période de 24 mois. Ce marché, d’un montant de 39 959,01 euros, était divisé en deux lots. Le ministère n’a reçu que deux offres s’agissant du premier lot, dont une au prix de zéro euro, proposée par la Société Tax-Fin-Lex, requérante dans ladite affaire. Cette offre supposait donc que le pouvoir adjudicateur ne fournisse aucune contrepartie financière (sans onérosité manifeste), et que le soumissionnaire, en exécutant le contrat, bénéficie d’une expérience supplémentaire lui permettant d’accéder à de nouveaux marchés.

Celle-ci ayant été rejetée, la juridiction nationale slovène a saisi la Cour de justice de l’Union européenne, afin de prendre connaissance de l’interprétation à adopter s’agissant de l’article 2, paragraphe 1, point 5, de la directive 2014/24/UE du 26 février 2014, qui indique que les marchés publics sont des « contrats à titre onéreux ». La juridiction nationale souhaitait ainsi savoir si cet article devait être regardé comme une base légale imposant de rejeter une offre d’un montant de zéro euro.

La problématique posée à la Cour par la juridiction nationale slovène

Dans la présente affaire, la Cour devait donc déterminer si une offre proposant un prix de zéro euro pouvait être rejetée sur le seul fondement de l’article 2, paragraphe 1, point 5, de la directive 2014/24/UE du 26 février 2014, qui suppose que le contrat soit conclu à titre onéreux pour être qualifié de marché public. Autrement-dit, si l’absence de contrepartie financière pouvait justifier le rejet d’une telle offre, considérant que celle-ci excluait la qualification de marché public.

La position de la Cour de justice de l’Union européenne s’agissant de la procédure à appliquer dans le cadre du rejet d’une offre à zéro euro

Sur cette question, la Cour a adopté le raisonnement suivant : d’abord, cette dernière a rappelé qu’un contrat comprenant une prestation sans contrepartie ne relève pas de la notion de « contrat à titre onéreux », au sens de l’article 2, paragraphe 1, point 5, de la directive 2014/24/UE. La Cour considère cependant que cet article a pour seul objectif de déterminer le champ d’application matériel de la directive visée, et définir ainsi la notion de « marchés publics ». Celui-ci ne peut donc s’analyser en une base légale permettant de fonder le rejet d’une offre sans contrepartie financière.

Toutefois, la Cour considère qu’une offre au prix de zéro euro peut être qualifiée d’offre anormalement basse. En ce sens, le pouvoir adjudicateur doit donc, pour rejeter une telle offre, faire usage de la procédure associée aux offres anormalement basses, défini sous l’article 69 de la directive 2014/24, et qui suppose l’apport, par le soumissionnaire, d’explications permettant de la justifier[3]. Est ainsi exclue l’hypothèse du rejet automatique sur le seul fondement de l’absence de contrepartie financière.

Cette décision laisse donc tout le loisir aux soumissionnaires de proposer une offre à zéro euro, sans que celle-ci ne puisse faire l’objet d’un rejet automatique ; à condition toutefois de savoir justifier d’un prix aussi attractif…

 

[1] CJUE, 10 septembre 2020, Aff. C-367/19

[2] Article L.2152-5 du Code de la commande publique

[3] Article 69, paragraphe 2 de la Directive 2014/24/UE

L’appel du 18 juin, les nouvelles dispositions de la commande publique : indemnisation des surcoûts liés au COVID


La production textuelle est de nouveau dense depuis fin mai, relativement à la reprise des marchés publics et privés.

Tout d’abord, une circulaire interministérielle du 20 mai 2020 adressée aux Préfets les encourage à surveiller, promouvoir, recenser et encourager la reprise des chantiers dans les meilleures conditions possibles.

Rien d’intéressant en revanche s’agissant de la prise en charge des coûts liés tant à l’interruption des chantiers, qu’à leur reprise selon les modalités d’exigence de sécurisation « Covid ».

Il faut alors se pencher sur la circulaire du Premier Ministre du 9 juin 2020.

Le premier Ministre s’adressant aux ministres, et aux secrétaires d’Etat « invite » à mettre en place des mécanismes de prise en charge par les acheteurs publics des surcoûts attachés au Covid dans la reprise des marchés de travaux.

Cette circulaire, bien que s’appliquant aux marchés de l’Etat, à savoir les services centraux et déconcentrés, et les établissements publics de l’Etat, l’on pense fortement que les collectivités territoriales et leurs établissements publics s’en inspireront largement.

A ce titre, nous faisons le constat actuellement que de nombreux marchés sont en attente, en suspension « non-officielle », situation ayant été renforcée par les atermoiements des élections municipales.

Aussi, de nombreux opérateurs économiques entendent, forts des différentes mesures « covid » prises au cours des mois de mars, avril et mai 2020, demander des indemnisations de diverses nature, parfois ne rentrant pas dans les conditions posées par les textes.

Symétriquement, l’on observe de que certains acheteurs « usent » parfois non intentionnellement également, de cette période troublée pour ne pas assurer leur rôle de maître d’ouvrage. Nous faisons l’amer constat des délais de règlement qui s’allongent, des pertes de direction de chantier, des questions posées par les opérateurs et les maîtres d’œuvre qui restent sans réponse.

Aussi, ces textes récents arrivent à la bonne heure pour clarifier les positions.

La Premier Ministre « invite » donc les acheteurs à procéder à la prise en charge des surcoûts Covid selon une double approche :

  • Couts attachés à l’interruption des chantiers :
    • Coûts directs

Lors de l’arrêt brutal de l’exécution des marches de travaux (publics et privés) à partir du 16 mars dernier, qu’il ait été à l’initiative de l’acheteur ou de l’entreprise, des surcoûts directs ont dû être supportés, tels que la mise en sécurité et gardiennage du chantier, la démobilisation des matériels et matériaux, etc…

Le Premier Ministre encourage les acheteurs à prendre en compte ces surcoûts.

Il convient donc de préparer une réclamation à ce titre.

  • Coûts indirects

S’agissant de l’immobilisation du matériel, les frais de personnel non déjà pris en charge par l’acheteur au titre du chômage partiel, frais généraux, marges, pertes de chiffre d’affaires, etc…, ils sont laissés à la charge de l’entreprise ; de même que les coûts d’études et de conduite d’opération pour la préparation de la reprise du chantier.

  • En synthèse sur ce premier point, il est à retenir que l’acheteur public est encouragé à porter les surcoûts directs liés à l’interruption, que la suspension ou l’interruption du marché ait été à l’initiative de l’entreprise ou de l’acheteur !

Ce point est fondamental car de nombreux acheteurs publics, ont stratégiquement, dans l’attente de la position gouvernementale ultérieure, fait le choix de ne pas suspendre ou interrompre le marché, pour que l’entreprise, seule en soit à l’initiative.

Sur ce premier point, ils ont « joué » …. Et ils ont « perdu » !

Ainsi, il faut dès maintenant recenser ces surcoûts directs, les justifier et les présenter au paiement dans le cadre d’une réclamation, ou d’un avenant, ou encore un protocole transactionnel.

  • Couts liés à la reprise des chantiers selon les modalités imposées par l’exigence de sécurisation « Covid » :
    • Coûts directs

L’ensemble des préconisations de sécurité sanitaire OPPBTP à savoir la modification des installations chantier, l’acquisition d’équipements individuels de protection, les nettoyages supplémentaires (matériaux et temps passé), la modification des modalités d’acheminement voire d’hébergement des personnels intervenant sur le chantier, SONT APPELES A ETRE PRIS EN CHARGE PAR L’ACHETEUR.

Cette prise en charge se fera par la commande de travaux ou prestations supplémentaires, ou par la modification en raison de circonstances imprévues.

Le vecteur sera l’avenant en tout état de cause.

  • Coûts indirects

Concernant les pertes de rendement, celles-ci ne seront pas prises en charge par l’acheteur ;

Il est à noter que les chiffres relatifs à ces pertes ne sont pas encore connus, parce que non encore déterminables.

Nous conseillons de ne pas y renoncer, mais au contraire de les conserver dès qu’ils seront connus, et à ne pas les inclure par des effets de clause « balai » dans les accords qu’elles auront trouvés entre-temps sur les autres points (coûts directs).

Ces surcoûts seront présentés alors ultérieurement.

En conclusion, cette circulaire est porteur d’espoir, et il faut s’en prévaloir dès maintenant auprès des acheteurs concernant les surcoûts directs liés à l’interruption des marchés, et aux surcoûts directs liés à la mise en sécurité COVID (masques, réorganisations, temporisations nouvelles, etc…).

D’autant plus que les collectivités territoriales abordent cette fin de crise printanière en meilleure position financière que l’Etat, comme le relève un rapport de la Cour des comptes publié le lundi 6 juillet dernier.

La situation des collectivités territoriales s’est améliorée en 2019 pour la troisième année consécutive avec un niveau de dépenses contenu, notamment en ce qui concerne la masse salariale, souligne la Cour des comptes.

Les collectivités ont engagé l’année dernière 186 milliards d’euros de dépenses de fonctionnement, 64 milliards de dépenses d’investissement, et leur épargne brute a progressé de 8.8%.

Les magistrats soulignent notamment le dynamisme de leurs recettes fiscales (+3.1%) pour un total de 150.7 milliards d’euros en 2019.

Enfin, une bonne nouvelle !

L’épineuse question de la territorialité du déréférencement


Par une décision du 27 mars 2020[1], le Conseil d’État a apporté des précisions sur la portée territoriale du droit au déréférencement. Il a annulé une délibération[2] de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) prononçant une sanction, rendue publique, d’un montant de 100.000 euros à l’encontre de la société Google Inc. Après avoir reçu environ 80.000 demandes en France, cette société refusait d’effectuer un déréférencement sur l’ensemble des noms de domaine de son moteur de recherche, autrement dit, d’opérer un déréférencement à l’échelle mondiale. Le Conseil d’État a jugé à l’appui des réponses apportées par la CJUE[3] à ses trois questions préjudicielles, d’une part, qu’aucune disposition issue du droit positif n’autorise un déréférencement mondial ; et d’autre part, qu’une telle faculté serait nécessairement subordonnée à une mise en balance entre le droit à l’oubli de la personne concernée et le droit à l’information.

 

Rappel des faits

A la suite d’une mise en demeure restée infructueuse, la société Google Inc. s’est vue infliger une amende de 100.000 euros par la formation restreinte de la CNIL. La société Google Inc. a demandé l’annulation de la délibération litigieuse n° 2016-054 du 10 mars 2016 auprès du Conseil d’État.

Par une décision du 19 juillet 2017, le Conseil d’État a sursis à statuer et a posé trois questions préjudicielles à la CJUE dans le cadre de l’article 267 du TFUE[4]. Ces questions tendaient à préciser les conditions d’application du droit au déréférencement et notamment sur l’interprétation du droit de l’Union relatif à la protection des données à caractère personnel.

Les juges du Palais Royal ont ainsi interrogé la CJUE sur l’action à mener par l’exploitant d’un moteur de recherche en cas de demande de déréférencement. Cet exploitant doit-il opérer ce déréférencement sur l’ensemble des noms de domaine de son moteur de recherche, ou bien le déréférencement se limite-t-il à l’ensemble des États membres, ou encore s’il est circonscrit uniquement au niveau de l’État membre du ressortissant à l’origine de la demande.

Cette série de questions offre l’occasion de clarifier l’étendue du champ d’application du droit au déréférencement, dans une société mondiale animée (assujettie ?) par le développement de la dématérialisation qui contribue à l’accroissement des flux de Big data dans de nombreux secteurs tant juridiques qu’extra-juridiques.

Une réponse apportée à double échelle : mondiale et européenne

Par un arrêt C-507/17 du 24 septembre 2019, la CJUE s’est prononcée sur cette question de l’étendue territoriale du droit au déréférencement, droit consacré par la CJUE dans son célèbre arrêt « Google Spain »[5].

La Cour rappelle que le droit au déréférencement est fondé sur l’article 17 du Règlement du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (RGPD).

 

Cet article permet à la personne concernée, d’obtenir du responsable du traitement l’effacement, dans les meilleurs délais, de données à caractère personnel la concernant et le responsable du traitement a l’obligation d’effacer ces données à caractère personnel dans les meilleurs délais, lorsque l’un des motifs légitimes listés à cet article s’applique.

 

1/ A l’échelle mondiale, l’exploitant d’un moteur de recherche n’est pas dans l’obligation de procéder à un déréférencement d’une telle ampleur.

 

La Cour relève en effet que le législateur de l’Union n’a pas fait le choix de conférer au droit au déréférencement « une portée qui dépasserait le territoire des États membres » (pt. 62). La Cour conclut ainsi que « en l’état actuel, il n’existe, pour l’exploitant d’un moteur de recherche qui fait droit à une demande de déréférencement formulée par la personne concernée, (…) pas d’obligation découlant du droit de l’Union de procéder à un tel déréférencement sur l’ensemble des versions de son moteur » (pt. 64).

 

La Cour de Luxembourg nuance ce constat et souligne qu’aucune disposition issue du droit de l’Union interdit aux autorités nationales d’instaurer un déréférencement mondial (pt. 72). Dès lors, libre à chaque État membre d’ajuster son échelle de contrôle en faisant jouer sa marge de manœuvre étatique.

 

2/ A l’échelle européenne, en revanche, dans cet objectif d’uniformisation du droit des États membres et afin d’assurer un niveau élevé de protection, la Cour indique que le droit au déréférencement doit s’opérer sur l’ensemble du territoire des États membres (pt.66).

 

Enfin, la Cour précise que peu importe l’échelle de contrôle choisie, les autorités compétentes de chaque État membre devront opérer « une mise en balance entre, d’une part, le droit de la personne concernée au respect de sa vie privée et à la protection des données à caractère personnel la concernant et, d’autre part, le droit à la liberté d’information, et, au terme de cette mise en balance, pour enjoindre, le cas échéant, à l’exploitant de ce moteur de recherche de procéder à un déréférencement portant sur l’ensemble des versions dudit moteur » (pt. 66 à 72).

 

La délibération de la CNIL censurée par le Conseil d’État

Fort des éclaircissements apportés par la CJUE, le Conseil d’État a annulé la délibération de la CNIL pour erreur de droit au motif d’une part, que la demande de déréférencement mondial n’était fondée sur aucun texte (pt. 7) ; et d’autre part, à considérer le déréférencement envisageable, la CNIL n’avait procédé à aucune mise en balance des intérêts en présence faisant échec à une éventuelle substitution de base légale de la part du juge administratif (pt. 9 et 10).

Il ressort de cette décision, que le Conseil d’État ne ferme pas entièrement la porte à l’obtention d’un déréférencement mondial, si la mise en balance entre le respect au droit à la vie privée et le droit à l’information est régulièrement effectuée par la CNIL, autorité compétente en France, et si l’Etat membre dont relève le requérant a pris une position législative plus sévère, imposant un déréférencement à l’échelle mondiale.

En l’espèce, le Conseil d’État se trouve dans l’obligation de faire droit à la demande d’annulation de la société Google, société déjà épinglée par la CNIL à plusieurs reprises.

Pour rappel, la CNIL avait prononcé une sanction record de 50 millions d’euros à l’encontre de la société Google LLC en application du RGPD pour manque de transparence, information insatisfaisante et absence de consentement valable pour la personnalisation de la publicité[6].

A l’heure où la mise en place d’une application de GeoTracking pour endiguer l’épidémie du COVID 19, fait débat quant au respect de la vie privée des individus, la société Google « peine » (ou rechigne) à se mettre en conformité avec les dispositions du RGPD. En effet, elle poursuit le stockage et le traitement de données personnelles (géolocalisation, recherches Internet, historique youtube etc.), de milliards d’utilisateurs à travers le monde, dont le contrôle s’avère difficile.

L’on mesure ici les effets délétères d’un Etat de droit hypertrophié, profitant à souhait non pas aux personnes, mais aux multinationales déterritorialisées.

[1] Conseil d’État, sect., 27 mars 2020, Google Inc., n° 399922

[2] Délibération de la CNIL n° 2016-054 du 10 mars 2016

[3] CJUE, 24 septembre 2019, Google LLC c/ CNIL n° C-507/17

[4] Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne

[5] CJUE, 13 mai 2014, Google Spain SL et Google Inc. c/ Agencia Española de Protección de Datos, n° C‑131/12

[6] Délibération n°SAN-2019-001 du 21 janvier 2019

Covid 19 : L’impact de l’état d’urgence sanitaire sur la passation et l’exécution des contrats de la commande publique


Pour faire face à l’épidémie de Covid-19, l’ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020, qui contient 8 articles, apporte des réponses concernant la passation et l’exécution des contrats soumis ou non au code de la commande publique.

Application matérielle et temporelle de l’ordonnance :

L’ordonnance est applicable aux contrats soumis au code de la commande publique ainsi qu’aux contrats publics qui n’en relèvent pas.

Par suite, s’applique-t-elle non seulement aux contrats passés par des acheteurs publics, mais également aux contrats conclus par des personnes morales de droit privé (acheteurs privés) soumis au Code de la commande publique, conformément à l’article L1111-1 du code de la commande publique.

Elle s’applique aux contrats en cours ou conclus durant la période courant du 12 mars 2020 jusqu’à la fin de l’état d’urgence sanitaire déclaré par l’article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, augmentée d’une durée de deux mois (article 1er).

L’article 4 de la loi du 23 mars 2020 dispose que : « l’état d’urgence sanitaire est déclaré pour une durée de deux mois à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi ».

Ledit article prévoit qu’il pourra être mis fin à l’état d’urgence sanitaire avant l’expiration du délai prévu par la loi du 23 mars 2020, ou que celui-ci pourra être prorogé.

Dès lors que la loi relative à l’état d’urgence sanitaire est entrée en vigueur le 24 mars 2020, la fin de l’état d’urgence sanitaire est prévue, à ce jour, au 24 mai 2020.

Ainsi, l’ordonnance 2020-319 s’applique aux contrats en cours ou conclus entre le 12 mars 2020 et le 24 juillet 2020. Cette dernière date est toutefois théorique et incertaine, dès lors que le terme de l’état d’urgence sanitaire pourrait être modifié.

En outre, l’application de l’ordonnance n’est pas systématique. Il est en effet prévu que les dispositions de l’ordonnance ne sont mises en œuvre que dans la mesure où elles sont nécessaires pour faire face aux conséquences, dans la passation et l’exécution de ces contrats, de la propagation de l’épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation (article 1er).

Tous les contrats publics ne sont donc pas concernés et cela signifie qu’un contrôle pourra être opéré par le juge sur l’utilisation et la mise en œuvre qui pourra être faite par les acheteurs des dispositions de l’ordonnance.

A ce stade, il est impossible de pronostiquer la nature du contrôle qui sera exercé sur l’utilisation de ces mesures dérogatoires ; s’agira-t-il d’un simple contrôle restreint limité à l’erreur manifeste d’appréciation, ou bien le Juge ira-t-il faire « l’étiologie » de l’atteinte subie par le contrat à l’aune des circonstances de l’espèce, pour vérifier la posologie de « l’ordonnance n°2020-319 », qui lui aura été administrée.

Les acheteurs doivent donc faire preuve de prudence et apprécier au cas par cas les contrats concernés par le dispositif.

Prolongation des délais de réception des candidatures et des offres (contrats soumis au code de la commande publique) :

Sauf lorsque les prestations objet du contrat ne peuvent souffrir aucun retard, les délais de réception des candidatures et des offres dans les procédures en cours sont prolongés d’une durée suffisante. Cette durée est fixée par l’autorité contractante.

Cette disposition a pour objet de permettre aux opérateurs économiques de présenter leur candidature ou de soumissionner (article 2).

Si les acheteurs souhaitent prolonger les délais de réception des candidatures et des offres, il conviendra de modifier les documents de la consultation des entreprises préalablement mis en en ligne et de publier un avis rectificatif.

Si les offres ont déjà été remises, une prolongation du délai de validité des offres pourra s’avérer nécessaire pour procéder à l’analyse des offres.

Dans cette hypothèse, il conviendra de solliciter l’accord de tous les candidats.

Si le Conseil d’État exige l’accord de tous les soumissionnaire pour que la prolongation soit effective (CE, 24 juin 2011, « Commune de Bourgoin-Jallieu », n° 347889), la Haute Juridiction pourrait être amenée à revenir sur cette condition lorsque la prolongation a pour origine l’état d’urgence sanitaire, comme elle l’a fait lorsque le délai de validité des offres expire du fait d’un référé précontractuel.

En effet, dans cette hypothèse, le Conseil d’Etat considère que la personne publique peut poursuivre la procédure de passation du marché public avec les seuls candidats qui ont accepté la prolongation dudit délai (CE, 10 avril 2015, centre hospitalier territorial de Nouvelle-Calédonie n° 386912).

Cette position est celle retenue par la Direction des Affaires Juridiques (DAJ) du ministère de l’économie et des finances dans sa Foire aux Questions (FAQ) « Les conséquences de la crise sanitaire sur la commande publique », mise en ligne le 30 mars 2020.

Ainsi, après avoir rappelé que l’acheteur ne peut pas décider unilatéralement de prolonger la durée de validité des offres et qu’il doit nécessairement obtenir l’accord des entreprises qui ont déposé une offre, la DAJ précise qu’après avoir contacté chaque soumissionnaire, si certains n’acceptent pas de maintenir leur offre, l’acheteur peut poursuivre la procédure avec les seuls soumissionnaire qui ont accepté la prolongation du délai de validité de leur offre.

La DAJ indique également qu’en procédure négociée, la remise d’un nouvel acte d’engagement vaut accord implicite des candidats quant à la prorogation du délai de validité des offres.

Enfin, il convient de noter que le nouveau délai de validité des offres doit être fixé en prenant en compte deux variables. S’il doit être suffisant pour permettre à l’acheteur d’étudier les offres et de se prononcer, il ne doit pas être excessif afin que l’offre demeure viable pour les entreprises.

Possibilité d’aménager les modalités de la mise en concurrence prévues dans le DCE :

Lorsque les modalités de la mise en concurrence prévues en application du code de la commande publique dans les documents de la consultation des entreprises ne peuvent être respectées par l’autorité contractante, celle-ci peut les aménager en cours de procédure dans le respect du principe d’égalité de traitement des candidats (article 3).

A titre d’illustration, les mentions du dossier de consultation des entreprises relatives aux visites préalables obligatoires ou facultatives et aux réunions de négociation devront nécessairement être modifiées.

La production et livraison d’échantillons seront probablement revues.

L’acheteur devra s’interroger sur un aménagement de ces modalités de la mise en concurrence :

  • Si les prestations, objet du contrat en cours de passation ne peuvent souffrir aucun retard, est-il possible de supprimer les réunions en transmettant les informations par un autre moyen ou de prévoir des réunions en utilisant un moyen de télécommunication audiovisuelle ?
  • Si les délais de remise des candidatures et des offres peuvent être prolongés, des nouvelles dates de visites et de réunions de négociation devront être arrêtées, et il conviendra d’en tenir compte pour fixer les échéances de remise des candidatures et des offres.

 

Possibilité de conclure un avenant pour prolonger la durée des contrats :

Les contrats arrivés à terme entre le 12 mars 2020 et deux mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire, soit le 24 juillet 2020 (date susceptible d’évoluer) peuvent être prolongés par avenant, lorsque l’organisation d’une procédure de mise en concurrence ne peut être mise en œuvre.

Il est prévu que la durée des accords-cadres peut ainsi dépasser quatre ans pour les pouvoirs adjudicateurs et huit ans pour les entités adjudicatrices (sept ans pour les marchés de défense et de sécurité).

Concernant les concessions conclues dans le domaine de l’eau potable, de l’assainissement, des ordures ménagères et autres déchets, leur durée peut être prolongée et être supérieure à 20 ans, sans examen préalable par l’autorité compétente de l’Etat (article 4).

Limite à la prolongation de durée d’exécution des contrats :

La durée de la prolongation des contrats publics ne peut excéder celle de la période prévue à l’article 1er (période courant du 12 mars 2020 jusqu’à la fin de l’état d’urgence sanitaire, augmentée d’une durée de deux mois), augmentée de la durée nécessaire à la remise en concurrence à l’issue de son expiration (article 4).

Ainsi, la durée de la prolongation des contrats ne pourra excéder 4 mois et 12 jours (période entre le 12 mars et le 24 juillet 2020), durée augmentée de la durée nécessaire à la remise en concurrence à l’issue de son expiration.

Il n’est pas possible de prévoir un délai de prolongation identique pour tous les contrats dès lors que la durée nécessaire à la remise en concurrence dépend de chaque type de contrats.

En effet, la durée nécessaire pour la passation d’un marché public sans négociation est nécessairement plus courte que celle nécessaire pour la passation d’une concession, ou d’un marché passé selon une procédure formalisée (appel d’offres, concours, dialogue compétitif).

Modification des conditions de versement des avances :

Les acheteurs peuvent, par avenant, modifier les conditions de versement de l’avance. Son taux peut être porté à un montant supérieur à 60 % du montant du marché ou du bon de commande. Ils ne sont pas tenus d’exiger la constitution d’une garantie à première demande pour les avances supérieures à 30 % du montant du marché (article 5)

 

Mesures relatives aux difficultés d’exécution du contrat (article 6) :

Application matérielle :

Les mesures prévues par l’ordonnance s’appliquent :

  • Nonobstant toute stipulation contractuelle contraire,
  • A l’exception des stipulations qui se trouveraient être plus favorables au titulaire du contrat.

Impossibilité de respect du délai d’exécution sans mise en œuvre de moyens excessifs :

Lorsque le titulaire ne peut pas respecter le délai d’exécution d’une ou plusieurs obligations du contrat ou que cette exécution en temps et en heure nécessiterait des moyens dont la mobilisation ferait peser sur le titulaire une charge manifestement excessive, ce délai est prolongé d’une durée au moins équivalente à celle mentionnée à l’article 1er (période courant du 12 mars 2020 jusqu’à la fin de l’état d’urgence sanitaire, augmentée d’une durée de deux mois).

Cette prolongation intervient sur demande du titulaire et doit être formulée avant l’expiration du délai contractuel.

Impossibilité d’exécuter tout ou partie des prestations sans mise en œuvre de moyens excessifs :

Lorsque le titulaire est dans l’impossibilité d’exécuter tout ou partie d’un bon de commande ou d’un contrat, notamment lorsqu’il démontre qu’il ne dispose pas des moyens suffisants ou que leur mobilisation ferait peser sur lui une charge manifestement excessive :

  • Le titulaire ne peut pas être sanctionné, ni se voir appliquer les pénalités contractuelles, ni voir sa responsabilité contractuelle engagée pour ce motif ;

 

  •  L’acheteur peut conclure un marché de substitution avec un tiers pour satisfaire ceux de ses besoins qui ne peuvent souffrir aucun retard, nonobstant toute clause d’exclusivité et sans que le titulaire du marché initial ne puisse engager, pour ce motif, la responsabilité contractuelle de l’acheteur ; l’exécution du marché de substitution ne peut être effectuée aux frais et risques de ce titulaire.

 

Annulation d’un bon de commande ou résiliation du marché (conséquence de l’état d’urgence sanitaire) :

Lorsque l’annulation d’un bon de commande ou la résiliation du marché par l’acheteur est la conséquence des mesures prises par les autorités administratives compétentes dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, le titulaire peut être indemnisé, par l’acheteur, des dépenses engagées lorsqu’elles sont directement imputables à l’exécution d’un bon de commande annulé ou d’un marché résilié.

Suspension d’un marché à prix forfaitaire et nécessité d’un avenant :

Lorsque l’acheteur est conduit à suspendre un marché à prix forfaitaire dont l’exécution est en cours, il procède sans délai au règlement du marché selon les modalités et pour les montants prévus par le contrat.

A l’issue de la suspension, un avenant est nécessaire. Il détermine :

  • les modifications du contrat éventuellement nécessaires,
  • la reprise du contrat à l’identique ou sa résiliation
  • les sommes dues au titulaire ou, le cas échéant, les sommes dues par ce dernier à l’acheteur.

Suspension de l’exécution d’une concession :

Lorsque le concédant est conduit à suspendre l’exécution d’une concession, tout versement d’une somme au concédant est suspendu et, si la situation de l’opérateur économique le justifie et à hauteur de ses besoins, une avance sur le versement des sommes dues par le concédant peut lui être versée.

Modification des modalités d’exécution d’une concession non suspendue :

Lorsque, sans que la concession soit suspendue, le concédant est conduit à modifier significativement les modalités d’exécution prévues au contrat, le concessionnaire a droit à une indemnité destinée à compenser le surcoût qui résulte de l’exécution, même partielle, du service ou des travaux, lorsque la poursuite de l’exécution de la concession impose la mise en œuvre de moyens supplémentaires qui n’étaient pas prévus au contrat initial et qui représenteraient une charge manifestement excessive au regard de la situation financière du concessionnaire.

Cet aménagement procède du principe du droit à l’équilibre financier, dont l’acheteur public est débiteur vis-à-vis de son cocontractant.

L’autorité délégante ne peut modifier unilatéralement une offre


Par un arrêt rendu le 20 décembre 2019(1), le Conseil d’État a précisé les pouvoirs d’une autorité délégante. En effet, si l’autorité délégante peut négocier librement les offres des candidats, elle ne peut en revanche modifier ou compléter de sa propre initiative et unilatéralement une offre. Les juges du Palais Royal ont donc confirmé la décision des juges d’appel qui avaient prononcé la résiliation du contrat de délégation de service public.

Le 2 mars 2012, la Communauté de communes de Sélestat, a par avis d’appel public à la concurrence lancé une procédure de passation d’un contrat de délégation de service public pour la gestion et l’exploitation des services de la petite enfance sur son territoire. Deux associations (Farandole et l’Association de Gestion des Equipements Sociaux (AGES)), parmi les onze candidats retenus, ont été invitées sur proposition de la commission de délégation de service public de l’intercommunalité à participer à la phase de négociation avec l’autorité délégante.

Par une délibération du 3 juin 2013, le conseil communautaire de Sélestat a validé l’offre de l’association Farandole au détriment de celle de l’AGES, terminant deuxième au classement des offres. Le contrat de délégation de service public a été signé le 2 juillet 2013 et a pris effet le 3 août 2013. L’association évincée a saisi le tribunal administratif de Strasbourg d’un recours en contestation de validité du contrat assorti d’une demande indemnitaire fondée sur le préjudice subi de ne pas avoir été retenue. Condamnée en 1e instance, la communauté de communes a interjeté appel du jugement devant la Cour administrative d’appel de Nancy, qui a confirmé la position du tribunal administratif de Strasbourg. L’établissement public de coopération intercommunale a donc formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État.

L’interruption par un recours gracieux du délai de recours contentieux

L’association évincée avait formé un recours gracieux auprès de la communauté de communes de Sélestat dans les deux mois qui ont suivi la délibération de la personne publique ayant attribué le contrat de délégation de service public à l’association Farandole. Le Conseil d’État a fait application de l’article L.411-2 du code des
relations entre le public et l’administration(2), créé depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 23 octobre 2015(3). Il a estimé que ce recours gracieux avait interrompu le délai de recours contentieux, qui a commencé à courir à compter du rejet implicite ou explicite de l’Administration, qui dans le cas d’espèce est intervenu le 30 octobre 2013 par courrier. Ainsi, la Haute juridiction administrative a considéré que la Cour administrative d’appel de Nancy n’avait pas commis d’erreur de droit en estimant que la demande de première instance n’était pas tardive, celle-ci ayant été enregistrée le 31 décembre 2013 devant le tribunal administratif de Strasbourg. Cette analyse se situe dans la lignée de la décision du 28 juin 2019, par laquelle le Conseil d’Etat avait jugé que l’exercice d’un recours gracieux par le préfet interrompait le délai de recours contentieux de la validité du contrat(4). Cette prérogative est donc étendue aux tiers.

L’interdiction des modifications substantielles unilatérales

La Communauté de communes de Sélestat avait adressé un cahier des charges aux candidats qui prévoyait que la rémunération du délégataire comprendrait les participations familiales, la prestation de service unique (PSU), ainsi que la participation de la communauté de communes au titre du fonctionnement.
En revanche, aucun document de l’appel d’offre n’indiquait le taux de PSU de référence. Les taux de PSU établis dans les offres respectives de l’Association Farandole et de l’AGES différaient. La Communauté de communes de Sélestat a donc, pour comparer les offres des deux associations précitées, recalculé l’offre de l’AGES en substituant au montant moyen de PSU de 4,72 euros, proposé par l’AGES, le taux de 4,44 euros qu’avait retenu l’association La Farandole. Cette modification a eu pour conséquence de réduire l’attractivité de l’offre établie par l’AGES et de favoriser celle de La Farandole, qui pouvait être regardée comme plus favorable. Si le Conseil d’Etat a pris le soin de citer le dernier alinéa de l’article L .1411-1 du code général des collectivités territoriales en vertu duquel “Les offres ainsi présentées sont librement négociées par l’autorité responsable de la personne publique délégante qui, au terme de ces négociations, choisit le délégataire.”, il a néanmoins souligné le fait que ces dispositions ne permettaient pas à la personne publique délégante de modifier unilatéralement “une offre dont elle estimerait que les prestations ne respectent pas les caractéristiques quantitatives et qualitatives qu’elle a définies.” La communauté de communes de Sélestat, qui n’avait pas défini le taux de référence de PSU dans les documents de l’appel d’offre, a procédé à une rupture d’égalité de traitement en uniformisant volontairement les taux des associations AGES et La Farandole.

L’autorité délégante n’a pas à se substituer au candidat…même pour le rattraper.

(1) Conseil d’Etat, 20 décembre 2019, req n°41999.

2) Article L.411-2 du code des relations entre le public et l’administration : toute décision administrative peut faire l’objet, dans le délai imparti pour l’introduction d’un recours contentieux, d’un recours gracieux ou hiérarchique qui interrompt le cours de ce délai. Lorsque dans le délai initial du recours contentieux ouvert à l’encontre de la décision, sont exercés contre cette décision un recours gracieux et un recours hiérarchique, le délai du recours contentieux, prorogé par l’exercice de ces recours administratifs, ne recommence à courir à l’égard de la décision initiale que lorsqu’ils ont été l’un et l’autre rejetés.
(3) Ordonnance n°2015-1341 du 23 octobre 2015.
(4) Conseil d’Etat, 28 juin 2019, req n°420776.

Précisions sur l’offre anormalement basse et la détermination préalable des besoins dans le cadre d’un contrat de concession


Par un arrêt rendu le 26 février 2020[1], le Conseil  d’État a apporté des précisions quant à l’application de l’offre anormalement basse aux contrats de concessions, ainsi qu’à la marge d’appréciation laissée à l’autorité concédante pour déterminer préalablement ses besoins. En effet, les juges du Palais Royal ont pu juger que la prohibition des offres anormalement basses n’était pas applicable aux contrats de concession. Plus encore, la Haute juridiction a considéré que l’autorité concédante, lorsqu’elle estime qu’elle est susceptible de commander des prestations supplémentaires au cours de l’exécution du contrat de concession, sans pour autant en déterminer le volume exact, peut fixer un critère d’appréciation fondé sur la comparaison entre des prix unitaires proposés par les candidats.

 

Rappel des faits

Le 11 février 2019, par un avis d’appel public à la concurrence, la commune de Saint-Julien-en-Genevois a lancé une procédure de concession de services portant sur la mise à disposition, l’installation, la maintenance, l’entretien et l’exploitation commerciale d’abris voyageurs et de mobiliers urbains. Deux entreprises ont candidaté et ont été admises à concourir : JCDecaux et la société Girod Médias. Suite à la phase de négociation et à l’analyse des offres, la commune a choisi d’attribuer le contrat de concession à la société Girod Médias.

La société JCDecaux a alors formé un référé précontractuel devant le tribunal administratif de Grenoble, lequel a rendu une ordonnance en date du 15 novembre 2019.  Le juge des référés annulait la procédure de passation de la concession et enjoignait à la commune de Saint-Julien-en-Genevois de reprendre la procédure de passation au stade de l’analyse des candidatures.

L’autorité concédante a donc formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat, demandant l’annulation de l’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Grenoble. La juridiction du Palais Royal a censuré l’ordonnance du juge du référé précontractuel.

 

L’inapplication des offres anormalement basses aux concessions

La société évincée, JCDecaux, soutenait que l’offre de la Société Girod Médias était anormalement basse. Le Conseil d’État rappelle que le régime des concessions diffère de celui des marchés publics. Si les offres anormalement basses sont prohibées en matière de marchés publics[2],  la Haute Juridiction dispose que : « La prohibition des offres anormalement basses et le régime juridique relatif aux conditions dans lesquelles de telles offres peuvent être détectées ou rejetées ne sont pas applicables, en tant que tels, aux concessions. »

Cette solution n’est pas illogique, en ce qu’aucune disposition du Code de la commande publique ne prohibe les offres anormalement basses s’agissant des concessions.

Une large prérogative laissée à l’autorité concédante s’agissant de la définition préalable du besoin

La commune de Saint-Julien-en-Genevois avait prévu, dans le cadre de la passation du contrat de concession,  un critère de jugement des offres qui portait sur le coût d’achat de prestations complémentaires. Ces prestations étaient évaluées sur la base du prix unitaire que les candidats devaient indiquer dans le tableau figurant en annexe du cahier des charges de la concession.

Pour annuler la procédure de passation du contrat de concession, le juge des référés s’était fondé sur le fait que le règlement de consultation mentionnait la possibilité de commander des prestations supplémentaires, sans pour autant fixer des limites quantitatives pour ces prestations.

Si la détermination préalable des besoins de l’acheteur est fixée par l’article L3111-1 du Code de la commande publique[3], le Conseil d’État semble adopter une vision souple de ce principe. En effet, la Haute Juridiction considère qu’il est possible pour une autorité concédante, lorsqu’elle estime qu’elle pourrait être placée dans la nécessité de commander des prestations supplémentaires au cours de l’exécution du contrat, sans être en capacité d’en déterminer le volume exact, de fixer un critère d’appréciation des offres fondé sur la comparaison entre des prix unitaires fixés par les candidats pour ces prestations.

Ainsi, la juridiction administrative a annulé l’ordonnance du juge des référés précontractuels pour erreur de droit.

La vision adoptée par le Conseil d’État dans son arrêt rendu le 26 février 2020 semble être à contre-courant de sa jurisprudence antérieure. A titre d’exemple, la Haute Juridiction avait censuré la procédure de passation d’une concession dont le périmètre et le montant des investissements manquaient de précisions. Elle avait alors estimé que la détermination préalable des besoins de l’acheteur était insuffisante[4].

Cette jurisprudence, plutôt inédite,  est donc amplement favorable aux acheteurs… au détriment des candidats.

[1] Conseil d’Etat, 26 février 2020, Commune de Saint-Julien-en-Genevois, n°436428

[2] Articles L2152-5 et suivants du Code de la commande publique

[3] Article L3111-1 du Code de la commande publique : « La nature et l’étendue des besoins à satisfaire sont déterminées avant le lancement de la consultation en prenant en compte des objectifs de développement durable dans leurs dimensions économique, sociale et environnementale. »

[4] Conseil d’Etat, Commune du Havre, 15 novembre 2017, n°412644

Relation maître d’ouvrage/ sous-traitant : quelles responsabilités ?


Par un Arrêt de la Cour Administrative d’Appel de Lyon du 2 septembre 2019 (n° 17LY02724), les Magistrats lyonnais confirment une position jurisprudentielle établie de longue date et stable, selon laquelle la responsabilité du maître d’ouvrage à l’égard d’un sous-traitant occulte n’est pas automatique.

 

Début 2009, la commune de Saint- Vincent-de-Mercuze a confié à un architecte, Monsieur B., une mission de maîtrise d’œuvre concernant une opération de réhabilitation d’une salle polyvalente. Parmi les lots travaux, la société J.C.D. avait la charge de réalise  le revêtement de sol. Cette société J.C.D. a recouru, pour partie des travaux qui lui incombaient, au sous-traitant Peintaconcept.
Tout au long du chantier la société JCD a négligé de faire accepter son sous-traitant, et d’agréer ses conditions de paiement par le maître d’ouvrage, conformément à la loi du 31 décembre 1975.

Une liquidation judiciaire qui complique la situation

Début janvier 2010, la réception a été refusée par le maître d’oeuvre, en raison de désordres conséquents affectant la surface des sols. Par conséquent, la commune n’a donc pas rémunéré son cocontractant, la société J.C.D. concernant le lot “Revêtement de sols”, et bien évidemment, la société J.C.D, par cascade, a également refusé de payer son sous-traitant, la société Peintaconcept. Par une première voie contentieuse, la société Peintaconcept a saisi le Tribunal de Commerce de Chambéry, pour obtenir la rémunération de ses prestations. Elle a obtenu la condamnation de la société J.C.D. à lui payer, dans un rapport contractuel direct de droit privé, les sommes qu’elle lui devait, mais malheureusement, entre-temps, la société J.C.D. est tombée en liquidation judiciaire.

La responsabilité du maître d’ouvrage recherchée par le sous-traitant

Par conséquent, la seule voie de recours dont disposait ce sous-traitant occulte, par la faute de l’entreprise principale, pour récupérer son argent, consistait à entamer par-devant la juridiction administrative une action fondée sur l’article 14-1, de la loi du 31 décembre 1975, modifié aujourd’hui par le Code de la commande, allant chercher la responsabilité du maître d’ouvrage sur la base de sa responsabilité quasi-délictuelle, du fait de ne pas avoir mis en demeure l’entreprise principale de procéder à ses obligations, à savoir la déclaration de sous-traitance, et sa responsabilité quasicontractuelle, fondée sur l’enrichissement sans cause du fait des dépenses utiles engagées. Tout d’abord, les Magistrats lyonnais ont évacué la responsabilité quasicontractuelle du maître d’ouvrage. En effet, les Magistrats ont considéré qu’eu égard aux malfaçons, aux frais et réfections des revêtements qui étaient nécessaires et qui ont été estimés par le Tribunal de Commerce de Chambéry, il ne pouvait pas être considéré que les dépenses engagées par la société Peintaconcept, dans ce cadre quasicontractuel,
auraient présenté un caractère utile pour la collectivité, et donc auraient constitué un enrichissement sans cause pour elle. Par conséquent, les Magistrats lyonnais déclinent cet engagement de responsabilité quasi-contractuelle. Sur la responsabilité quasi-délictuelle, nous revenons là à une considération plus classique de la responsabilité concernant la déclaration du sous-traitant. Bien évidemment, la Cour rappelle le principe classique selon lequel, dès lors que le maître d’ouvrage a connaissance sur le chantier de l’existence et de la réalisation d’une prestation sous-traitée, il a l’obligation de mettre en demeure son cocontractant direct, l’entreprise principale, de faire connaître son sous-traitant par l’acte de déclaration de sous-traitance et d’agrément des conditions de paiement. Cette position est rappelée évidemment constamment par les juridictions administratives (cf. Conseil d’État, 28 mai 2001, n° 2005449, SA Bernard Travaux Polynésie). Cela dit, la Cour ajoute que cette responsabilité n’est pas automatique, et que la connaissance du maître d’œuvre concernant l’existence du sous-traitant ne peut pas être transposée sur celle du maître d’ouvrage. En effet, il considère que le maître d’ouvrage peut voir sa responsabilité engager dès lors que le sous-traitant démontre – et c’est à lui de le faire – qu’il a entretenu des relations directes et caractérisées, qui conduiraient à regarder la collectivité comme suffisamment informée de la nature de l’intervention de la société Peintaconcept sur le chantier, et des liens de celle-ci avec l’entrepreneur principal.

Un arrêt avec une double considération

Ainsi, il y a dans cet arrêt effectivement une double considération : d’abord sur la temporalité qui consiste à considérer que le sous-traitant qui s’est manifesté auprès du maître d’ouvrage qu’après la réception, bien évidemment obère l’éventuel engagement de responsabilité du maître d’ouvrage, dans la mesure où il lui appartenait positivement de se manifester, en cours de chantier, donc avant la réception, et de démontrer l’existence de relations directes et caractérisées, qu’il entretenait avec le maître d’ouvrage. À côté de cette exigence de temporalité, est également exigée la démonstration de la matérialité même de la relation qu’il entretenait avec le maître
d’ouvrage. Ainsi, l’on peut caractériser cette jurisprudence comme sévère à l’endroit du sous-traitant occulte, “abandonné” par son entreprise principale, dans la mesure où trois exigences s’imposent à lui : tout d’abord, il doit démontrer les caractéristiques d’une nature particulière de relations avec le maître d’ouvrage. Il ne suffit pas qu’il ait une relation ou des rapports avec le maître d’ouvrage. Il convient que cette relation soit directe. Le caractère direct de la relation peut interpeler puisque le seul lien contractuel que le sous-traitant bénéficie est celui qu’il a avec son cocontractant direct, c’est-à-dire l’entrepreneur principal ; mais ne présentant aucun lien contractuel avec le maître d’ouvrage. Il convient deuxièmement que ces relations soient caractérisées.
On pourrait considérer qu’il s’agit d’une implication, d’un approfondissement des relations dans la mesure où il y pourrait y avoir des échanges au cours des réunions de chantier, au cours de certains documents écrits ; qu’il y ait éventuellement des courriers échangés entre le maître d’ouvrage et le sous-traitant, même si dans la pratique, ceux-ci sont très rares puisque l’entrepreneur fait écran effectivement sur ce sujet. Et enfin, troisièmement, le sous-traitant doit aussi démontrer d’abord l’existence et la nature des liens qu’il entretient avec l’entrepreneur principal, ce qui suppose que le sous-traitant doit faire part au maître d’ouvrage de son contrat de sous-traitance. Or, l’on sait très bien que dans la pratique, les entrepreneurs principaux, quel que soit le marché, particulièrement les marchés de travaux, sont très réticents – il s’agit d’une litote – à autoriser leur sous-traitant à communiquer des documents contractuels démontrant le lien ou notamment les rapports financiers entretenus avec le cocontractant, l’entreprise principale.

Ce qu’il faut retenir de cet arrêt

Par conséquent, il y a un décalage entre les exigences théoriques d’engagement de responsabilité du maître d’ouvrage et la pratique de la sous-traitance dans les marchés de travaux, qu’ils soient publics ou privés. S’ajoute encore une exigence complémentaire, à savoir que la responsabilité du maître d’ouvrage peut être engagée que s’il a été constaté que ce dernier a négligé la présence du sous-traitant, alors qu’il en avait connaissance, pendant une période suffisamment longue, pour être considérée comme significative. (cf. Cour Administrative d’Appel de Bordeaux,
5 juin 2003, n° 99BX00538).

Rappelons également, dans un souci pratique, que la simple participation du sous-traitant à une réunion de chantier ne traduit pas une collaboration effective (une relation directe et caractérisée) avec le maître d’ouvrage, ni l’existence de relation directe et caractérisée (cf. Cour Administrative d’Appel de Paris, 23 novembre 2004, n° 00PA01809). Enfin, cet arrêt apporte un élément intéressant qui n’est pas nouveau dans la théorie, mais qui apporte une expression d’un principe, consistant à considérer qu’en l’espèce, si le maître d’ouvrage pouvait reprocher à son maître d’œuvre de ne pas l’avoir suffisamment informé de la présence de ce sous-traitant irrégulier sur le chantier, le sous-traitant irrégulier quant à lui, ne peut se prévaloir d’aucune faute du maître d’œuvre à son endroit. Ainsi, en conclusion, l’on parle souvent du privilège du sous-traitant et le fait qu’en tout état de cause, il obtiendra paiement, soit par l’entreprise principale, soit par le maître d’ouvrage, des prestations qu’il a engagées. Ce principe se heurte à une réalité bien différente, comme on vient de le voir dans cet arrêt. De nombreuses conditions sont posées pour engager la responsabilité du maître d’ouvrage. Premièrement, celle-ci n’est pas automatique, et deuxièmement, les choses se compliquent sérieusement pour le sous-traitant, dès lors que l’entreprise principale, son cocontractant, est défaillante, comme c’est le cas en l’espèce. Le sous-traitant se retrouve alors seul face au maître d’ouvrage à devoir démontrer les éléments qui viennent d’être développés.

Par conséquent, le maître d’ouvrage est au final tout de même relativement protégé, quant à un engagement automatique de la responsabilité qu’un sous-traitant occulte pourrait lui opposer.

Un droit d’occupation du domaine public ne peut pas être perpétuel


Par un arrêt rendu le 8 novembre 2019[1], le Conseil d’État a apporté des précisions s’agissant de la portée d’une « clause de destination » contenue dans un acte de cession de biens immobiliers conclu avec une personne publique.

La Haute juridiction a en effet pu juger que l’acte de cession de parcelles d’une association sportive à une commune qui prévoit un droit d’occupation illimité au bénéfice de l’association est incompatible avec le régime de la domanialité publique, mais ne remet pas en cause l’entrée des parcelles dans le domaine public communal.

 

  • La prédominance du régime de de la domanialité publique sur la clause de destination

 

En l’espèce, l’association du Club seynois multi-sport avait cédé à la commune de la Seyne-sur-Mer plusieurs parcelles, par acte administratif de cession amiable puis par acte notarié, en prévoyant que celles-ci seraient exclusivement réservées aux activités sportives de tennis de l’association.

En contrepartie de cette cession gracieuse, la commune de la Seyne-sur-Mer avait donc mis à disposition de ladite association les équipements du complexe tennistique.

Toutefois, en 2014, la commune avait notifié à l’association son intention de ne pas renouveler conventionnellement cette autorisation d’occupation à son échéance quinquennale.

Face à un refus de l’association de quitter les lieux, elle avait était amenée à saisir le juge administratif dans l’objectif d’obtenir l’expulsion de l’association sportive du complexe tennistique.

Par un jugement en date du 12 octobre 2017, le Tribunal administratif de Toulon a fait droit à la demande d’expulsion de la commune, ce qui a conduit l’association à interjeter appel de cette décision.

La Cour administrative d’appel de Marseille a toutefois rejeté l’appel de l’association sportive en estimant que la clause du contrat de cession qui prévoyait que le complexe tennistique, ainsi que son extension future, seraient exclusivement réservés aux activités sportives de l’association, à supposer qu’elle doive être interprétée comme emportant pour celle-ci un droit d’utilisation perpétuelle de ces installations, était incompatible avec le régime de la domanialité publique.

Déboutée de ses demandes par les juges du fond, l’association du Club seynois a donc formé un pourvoi devant le Conseil d’État, afin d’obtenir l’annulation de l’arrêt décidé en appel et que la Haute juridiction se prononce au fond sur la légalité de la demande d’expulsion de la commune.

Le Conseil d’État a cependant rejeté le pourvoi de l’association, en suivant un raisonnement en trois temps.

En effet, la Haute Assemblée a d’abord démontré que les dépendances cédées relevaient du domaine public communal dès lors que les équipements sportifs, qui sont de propriété communale, étaient affectés au service public d’activité sportive et qu’ils étaient ainsi spécialement aménagés à cet effet.

Ensuite, le Conseil d’État a pu considérer que la clause contractuelle relative à la destination des biens était incompatible avec le régime juridique de la domanialité publique, et que l’association sportive ne pouvait en tout état de cause pas se prévaloir de l’existence d’une quelconque servitude conventionnelle lui donnant un droit d’occupation sur lesdites dépendances :

« L’association ne pouvait tirer de cette clause, qui n’a en tout état de cause pas la nature d’une servitude conventionnelle en l’absence de tout fonds servant ou dominant, un droit d’occupation des dépendances domaniales en litige. Elle n’a pas davantage entaché son arrêt d’erreur de droit en s’abstenant de déduire de l’incompatibilité de cette clause avec le régime de la domanialité publique qu’elle aurait fait obstacle à l’entrée des parcelles en litige dans le domaine public communal ».

Enfin, après avoir établi que le refus de la commune de renouveler la convention était devenu définitif et que l’association était, au terme de cette convention, dépourvue de toute titre d’occupation des parcelles en cause, la Haute juridiction a conclu à la légalité de l’expulsion de l’association sportive  qui ne disposait donc pas de titre pour occuper les équipements du complexe sportif, relevant du domaine public communal.

 

  • Une jurisprudence rejoignant le principe d’absence au droit au renouvellement des occupations du domaine public

 

Le caractère non perpétuel de l’occupation du domaine public, affirmé par cet arrêt du Conseil d’Etat du 8 novembre 2019, rejoint la position prise par la Cour administrative d’appel de Lyon dans son arrêt en date du 2 septembre 2019[2], par lequel celle-ci a affirmé l’absence du droit au renouvellement des occupations du domaine public.

En effet, par cette décision récente, la cour administrative d’appel de Lyon a pu juger qu’une décision refusant le renouvellement d’un contrat administratif – une convention d’occupation du domaine public en l’occurrence – ne peut faire l’objet d’un recours tendant à la reprise des relations contractuelles, communément appelé recours « Béziers II ». En effet, seules les décisions de résiliation de ces conventions d’occupations relèvent du champ d’application d’un tel recours juridictionnel.

Ainsi, dans une pareille situation, le cocontractant de l’autorité administrative a pour seule possibilité de saisir le juge du contrat, afin de solliciter l’indemnisation des préjudices qu’il a subis, et résultant de la décision de la personne publique de ne pas renouveler ces conventions d’occupation du domaine public.

La Cour administrative de Lyon a d’ailleurs rappelé, pour justifier sa compétence dans un tel cas d’espèce, les conditions de qualification d’un service public dans la mesure où celui-ci est pris en charge par une personne morale de droit privé, en l’occurrence une association, et sans que cette dernière ne dispose de prérogatives de puissance publique :

« Même en l’absence de telles prérogatives, une personne privée doit également être regardée, dans le silence de la loi, comme assurant une mission de service public lorsque, eu égard à l’intérêt général de son activité, aux conditions de sa création, de son organisation ou de son fonctionnement, aux obligations qui lui sont imposées ainsi qu’aux mesures prises pour vérifier que les objectifs qui lui sont assignés sont atteints, il apparaît que l’administration a entendu lui confier une telle mission. »[3]

 

  • Le mot d’ordre : maîtriser le régime juridique applicable aux conventions d’occupation du domaine public

 

Comme exposé ci-dessus, les occupants du domaine public ne bénéficient pas d’un droit d’occupation perpétuel, ni d’un droit au renouvellement des conventions d’occupation domaniale dont ils disposent, eu égard au fait que le régime juridique applicable à de telles conventions prime sur toute clause contractuelle contraire.

Ainsi, ces opérateurs économiques doivent maîtriser au mieux les règles applicables à ces conventions, qui ont d’ailleurs subi un profond changement suite à l’entrée en vigueur de l’ordonnance n°2017-562 du 19 avril 2017 relative à la propriété des personnes publiques, modifiant le Code général de la propriété des personnes publiques ainsi que le Code Général des Collectivités Territoriales.

Classiquement, la convention d’occupation du domaine public est un contrat conclu pour une durée déterminée. Le Code général de la propriété des personnes publiques prévoit à cet égard que l’occupation ou l’utilisation du domaine public ne peut être que temporaire, et présente un caractère précaire et révocable[4].

Par ailleurs, l’ordonnance du 19 avril 2017 précitée a institué, pour la délivrance d’un tel titre d’occupation, une procédure de publicité préalable et une sélection des candidats potentiels, dès lors qu’il y a une exploitation économique projetée.

Ainsi, depuis le 1er juillet 2017, dès lors qu’un titre d’occupation a pour effet de permettre l’exercice d’une activité économique sur le domaine public, son octroi devra être précédé d’une « procédure de sélection préalable présentant toutes les garanties d’impartialité et de transparence, et comportant des mesures de publicité permettant aux candidats potentiels de se manifester »[5], comme le prévoit expressément le Code général de la propriété des personnes publiques.

 

[1] Conseil d’Etat, 8 novembre 2019, Association Club seynois multisport, n°421491

[2] Cour administrative d’appel de Lyon, 2 septembre 2019, n°17LY02937

[3] Référence à l’arrêt du Conseil d’Etat, Section, 22 février 2007, APREI, n° 264541

[4] Articles L. 2122-2 et L. 2122-3 du Code général de la propriété des personnes publiques

[5] Article L. 2122-1-1, al. 1 du Code général de la propriété des personnes publiques ; article 3 de l’ordonnance n°2017-562.

L’offre anormalement basse : actualités jurisprudentielles et Nouveau Code de la commande publique


Les offres anormalement basses sont toujours un sujet sensible lors d’un appel d’offre, et le secteur du sport ne fait pas exception. Une offre peut être qualifiée d’anormalement basse si son prix ne correspond pas à une réalité économique. Le rejet de l’offre au motif qu’elle est anormalement basse doit, dans tous les cas, être motivé. Mais tout n’est pas si simple. Explications.

Le Nouveau Code de la commande publique, entré en vigueur le 1er avril 2019, dispose en son article L. 2152-5 : “Une offre anormalement basse est une offre dont le prix est manifestement
sous-évalué et de nature à compromettre la bonne exécution du marché.”L’article L 2152-6 développe quant à lui les démarches que l’acheteur public doit mettre en œuvre, dès lors qu’il rencontre
une telle situation. En effet, il est prévu
que “L’acheteur met en œuvre tous moyens lui permettant de détecter les offres anormalement basses. Lorsqu’une offre semble anormalement basse, l’acheteur exige que l’opérateur économique fournisse des précisions et justifications sur le montant de son offre. Si, après vérification des justifications fournies par l’opérateur économique, l’acheteur établit que l’offre est anormalement basse, il la rejette dans des conditions prévues par décret en Conseil d’État.”

Le Conseil d’État a jugé qu’une offre sans aucune marge bénéficiaire ne doit pas automatiquement être considérée comme étant anormalement basse

Le comportement que l’acheteur public doit adopter

Ainsi, le Code de la commande publique, dans la droite ligne de la jurisprudence antérieure et des dispositions textuelles du Code des marchés publics anciennement
en vigueur, reprend le même “protocole” à adopter par l’acheteur public, en quatre étapes itératives : la détection, la demande d’explication au candidat concerné, l’appréciation de la pertinence
des explications, et enfin l’admission ou le rejet de l’offre. Ces étapes préconisées par les textes sont reprises à la partie réglementaire du Code de la commande publique, aux articles
R. 2152-3 à R. 2152-5. Ainsi, d’un point de vue textuel, le Code de la commande publique ne modifie pas sur le fond, ni sur la forme, la définition de l’offre anormalement
basse, ni même le comportement que l’acheteur public doit adopter.
En effet, il s’en remet à la définition jurisprudentielle qui a été posée par le Conseil d’État, le 23 mai 2013, dans son arrêt du Conseil d’État (n° 366606 du Ministère de l’Intérieur c/ société ARTEIS).

La problématique de l’offre sans marge et de l’écart de prix important entre deux offres

En revanche, ce qui est intéressant d’analyser et de relever, ce sont les nouveaux éclairages que le Juge administratif a donnés sur les critères de la détection de l’offre anormalement basse.
En effet, à raison de plusieurs jurisprudences, l’on ne peut que faire le constat que le Juge administratif ne facilite pas le travail d’analyse de l’acheteur public quant à la détection de l’OAB (Offre anormalement basse). En effet, le Conseil d’État a jugé qu’une offre sans aucune marge bénéficiaire ne doit pas automatiquement être considérée comme étant anormalement basse (Conseil d’État, 22 janvier 2018, n° 414860, commune de VITRY-LE-FRANÇOIS).
Ainsi, il aurait été aisé de considérer que dès lors que le prix ne contient pas de marge bénéficiaire, celui-ci doit être assimilé à un coût de revient, et aurait pu éventuellement être considéré comme anormalement bas. Il n’en a pas été ainsi. De la même manière, dès lors que l’acheteur public constate un écart de prix considérable effectivement entre deux offres, cela ne suffit pas à caractériser à lui seul une offre anormalement basse (Conseil d’État, 18 juillet 2018, n° 417421, Société SERVICES THERMI SANI).

Une offre qui s’apprécie au regard de son prix global

Enfin et surtout, dans le cadre d’une décision du 13 mars 2019 (Conseil d’État, 13 mars 2019, n° 425191, Société SEPUR), le Conseil d’État a effectivement posé la règle selon laquelle le prix anormalement bas d’une offre s’apprécie non pas au regard des différentes lignes de prix (du BPU par exemple), mais au regard de son prix global, selon une approche holistique.

Ainsi, le Conseil d’État a précisé que l’existence d’un prix paraissant anormalement bas, au sein de l’offre d’un candidat, pour l’une seulement des prestations faisant l’objet du marché, n’implique pas à elle seule le rejet de son offre comme anormalement basse, y compris lorsque cette prestation fait l’objet d’un mode de rémunération différent, ou d’une sous-pondération spécifique au sein du critère prix.
Ainsi, le Conseil d’État considère qu’il doit être pris en compte l’offre globale de prix pour juger que l’offre est anormalement basse, et ne pas faire une approche à petite échelle de chaque élément de prix. Le prix anormalement bas d’une offre s’apprécie, en effet, au regard de son prix global. Par conséquent, l’acheteur public devra effectivement avoir une approche non pas par lignes de prix, mais devra estimer si le montant global de l’offre n’est pas “manifestement sous-évalué, ni de nature à compromettre la bonne exécution du marché”. Évidemment, nous pouvons considérer que cette approche apparaît, d’un point de vue économique, cohérente dès lors que ce n’est pas parce qu’un candidat décide de ne pas facturer une prestation, par exemple que son offre financière n’est pas économiquement viable.

Un travail d’analyse loin d’être facile

Cela dit, encore une fois, cette évolution jurisprudentielle ne facilite pas, et va plutôt néanmoins compliquer le travail d’analyse des acheteurs, dès lors qu’il leur appartiendra de déterminer pour chaque cas d’espèce si la ou les prestations, par exemple non facturées, sont essentielles à la bonne exécution du contrat, et si son absence de chiffrage par un opérateur économique est susceptible de compromettre, dans sa globalité ou pas, la bonne exécution des prestations proposées.

Les offres anormalement basses seront dès lors anormalement difficiles à détecter !

Conseil d’État, n°426932, Conseil régional de l’ordre des architectes des Pays de la Loire, du 3 juin 2020


Les Juges du Palais royal viennent de réduire le pouvoir de « nuisances juridictionnelles » des CROA ( conseils régionaux de l’ordre des architectes) en leur déniant, par principe, la qualité pour agir en justice à l’encontre d’un marché de conception-réalisation, par la voie d’un recours de pleine juridiction ( dit recours « Tarn-et-Garonne »), en considérant que la nature même d’un tel marché ne saurait lésé les intérêts collectifs dont ils ont la charge, de façon suffisamment directe et certaine.

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