L’offre à zéro euro : rejet automatique de l’offre sans contrepartie financière ou application de la procédure relative aux offres anormalement basse ?


Par une décision du 10 septembre 2020[1], la Cour de justice de l’Union européenne a apporté des précisions s’agissant du champ d’application de la notion « d’offre anormalement basse ».

Pour mémoire, la notion d’offre anormalement basse, orpheline d’une quelconque définition en droit européen, s’entend en droit interne d’une offre « dont le prix est manifestement sous-évalué et de nature à compromettre la bonne exécution du marché »[2].

Dans le cadre d’une telle offre, la Cour a défini, dans sa directive 2014/24, une procédure particulière devant être appliquée par les pouvoirs adjudicateurs, afin de justifier le rejet d’une offre qualifiée d’anormalement basse.

En ce sens, l’article 69 de ladite directive énonce que les pouvoirs adjudicateurs doivent exiger que les opérateurs économiques expliquent le prix ou les coûts proposés dans l’offre, lorsque celle-ci semble anormalement basse eu égard aux travaux, fournitures ou services. Le soumissionnaire doit alors être en mesure de la justifier au regard, par exemple, de l’économie du procédé de fabrication des produits, de la prestation des services ou du procédé de construction ; des solutions techniques adoptées ou les conditions exceptionnellement favorables dont dispose le soumissionnaire pour fournir les produits ou les services ou pour exécuter les travaux ; de l’originalité des travaux, des fournitures ou des services proposés par le soumissionnaire ; du respect des obligations visées à l’article 18, paragraphe 2 ; du respect des obligations visées à l’article 71 ; ou de l’obtention éventuelle d’une aide d’Etat par le soumissionnaire.

A défaut d’explication satisfaisante, le pouvoir adjudicateur peut discrétionnairement considérer que les explications et justifications fournies par le soumissionnaire ne sont pas de nature à renverser la présomption d’offre anormalement basse, la rejeter de ce chef en ce qu’elle contrevient aux obligations de l’article 18, paragraphe 2 de la directive.

C’est dans le cadre d’une offre particulièrement basse, puisque s’agissant d’une offre à un prix de zéro euro, que la Cour de justice de l’Union européenne a été saisie par la juridiction nationale slovène.

Les faits à l’origine de l’affaire C-367/19 

Dans l’affaire C-367/19, le ministère slovène a publié un avis de marché public portant sur l’accès à un système informatique juridique pour une période de 24 mois. Ce marché, d’un montant de 39 959,01 euros, était divisé en deux lots. Le ministère n’a reçu que deux offres s’agissant du premier lot, dont une au prix de zéro euro, proposée par la Société Tax-Fin-Lex, requérante dans ladite affaire. Cette offre supposait donc que le pouvoir adjudicateur ne fournisse aucune contrepartie financière (sans onérosité manifeste), et que le soumissionnaire, en exécutant le contrat, bénéficie d’une expérience supplémentaire lui permettant d’accéder à de nouveaux marchés.

Celle-ci ayant été rejetée, la juridiction nationale slovène a saisi la Cour de justice de l’Union européenne, afin de prendre connaissance de l’interprétation à adopter s’agissant de l’article 2, paragraphe 1, point 5, de la directive 2014/24/UE du 26 février 2014, qui indique que les marchés publics sont des « contrats à titre onéreux ». La juridiction nationale souhaitait ainsi savoir si cet article devait être regardé comme une base légale imposant de rejeter une offre d’un montant de zéro euro.

La problématique posée à la Cour par la juridiction nationale slovène

Dans la présente affaire, la Cour devait donc déterminer si une offre proposant un prix de zéro euro pouvait être rejetée sur le seul fondement de l’article 2, paragraphe 1, point 5, de la directive 2014/24/UE du 26 février 2014, qui suppose que le contrat soit conclu à titre onéreux pour être qualifié de marché public. Autrement-dit, si l’absence de contrepartie financière pouvait justifier le rejet d’une telle offre, considérant que celle-ci excluait la qualification de marché public.

La position de la Cour de justice de l’Union européenne s’agissant de la procédure à appliquer dans le cadre du rejet d’une offre à zéro euro

Sur cette question, la Cour a adopté le raisonnement suivant : d’abord, cette dernière a rappelé qu’un contrat comprenant une prestation sans contrepartie ne relève pas de la notion de « contrat à titre onéreux », au sens de l’article 2, paragraphe 1, point 5, de la directive 2014/24/UE. La Cour considère cependant que cet article a pour seul objectif de déterminer le champ d’application matériel de la directive visée, et définir ainsi la notion de « marchés publics ». Celui-ci ne peut donc s’analyser en une base légale permettant de fonder le rejet d’une offre sans contrepartie financière.

Toutefois, la Cour considère qu’une offre au prix de zéro euro peut être qualifiée d’offre anormalement basse. En ce sens, le pouvoir adjudicateur doit donc, pour rejeter une telle offre, faire usage de la procédure associée aux offres anormalement basses, défini sous l’article 69 de la directive 2014/24, et qui suppose l’apport, par le soumissionnaire, d’explications permettant de la justifier[3]. Est ainsi exclue l’hypothèse du rejet automatique sur le seul fondement de l’absence de contrepartie financière.

Cette décision laisse donc tout le loisir aux soumissionnaires de proposer une offre à zéro euro, sans que celle-ci ne puisse faire l’objet d’un rejet automatique ; à condition toutefois de savoir justifier d’un prix aussi attractif…

 

[1] CJUE, 10 septembre 2020, Aff. C-367/19

[2] Article L.2152-5 du Code de la commande publique

[3] Article 69, paragraphe 2 de la Directive 2014/24/UE

Relation maître d’ouvrage/ sous-traitant : quelles responsabilités ?


Par un Arrêt de la Cour Administrative d’Appel de Lyon du 2 septembre 2019 (n° 17LY02724), les Magistrats lyonnais confirment une position jurisprudentielle établie de longue date et stable, selon laquelle la responsabilité du maître d’ouvrage à l’égard d’un sous-traitant occulte n’est pas automatique.

 

Début 2009, la commune de Saint- Vincent-de-Mercuze a confié à un architecte, Monsieur B., une mission de maîtrise d’œuvre concernant une opération de réhabilitation d’une salle polyvalente. Parmi les lots travaux, la société J.C.D. avait la charge de réalise  le revêtement de sol. Cette société J.C.D. a recouru, pour partie des travaux qui lui incombaient, au sous-traitant Peintaconcept.
Tout au long du chantier la société JCD a négligé de faire accepter son sous-traitant, et d’agréer ses conditions de paiement par le maître d’ouvrage, conformément à la loi du 31 décembre 1975.

Une liquidation judiciaire qui complique la situation

Début janvier 2010, la réception a été refusée par le maître d’oeuvre, en raison de désordres conséquents affectant la surface des sols. Par conséquent, la commune n’a donc pas rémunéré son cocontractant, la société J.C.D. concernant le lot “Revêtement de sols”, et bien évidemment, la société J.C.D, par cascade, a également refusé de payer son sous-traitant, la société Peintaconcept. Par une première voie contentieuse, la société Peintaconcept a saisi le Tribunal de Commerce de Chambéry, pour obtenir la rémunération de ses prestations. Elle a obtenu la condamnation de la société J.C.D. à lui payer, dans un rapport contractuel direct de droit privé, les sommes qu’elle lui devait, mais malheureusement, entre-temps, la société J.C.D. est tombée en liquidation judiciaire.

La responsabilité du maître d’ouvrage recherchée par le sous-traitant

Par conséquent, la seule voie de recours dont disposait ce sous-traitant occulte, par la faute de l’entreprise principale, pour récupérer son argent, consistait à entamer par-devant la juridiction administrative une action fondée sur l’article 14-1, de la loi du 31 décembre 1975, modifié aujourd’hui par le Code de la commande, allant chercher la responsabilité du maître d’ouvrage sur la base de sa responsabilité quasi-délictuelle, du fait de ne pas avoir mis en demeure l’entreprise principale de procéder à ses obligations, à savoir la déclaration de sous-traitance, et sa responsabilité quasicontractuelle, fondée sur l’enrichissement sans cause du fait des dépenses utiles engagées. Tout d’abord, les Magistrats lyonnais ont évacué la responsabilité quasicontractuelle du maître d’ouvrage. En effet, les Magistrats ont considéré qu’eu égard aux malfaçons, aux frais et réfections des revêtements qui étaient nécessaires et qui ont été estimés par le Tribunal de Commerce de Chambéry, il ne pouvait pas être considéré que les dépenses engagées par la société Peintaconcept, dans ce cadre quasicontractuel,
auraient présenté un caractère utile pour la collectivité, et donc auraient constitué un enrichissement sans cause pour elle. Par conséquent, les Magistrats lyonnais déclinent cet engagement de responsabilité quasi-contractuelle. Sur la responsabilité quasi-délictuelle, nous revenons là à une considération plus classique de la responsabilité concernant la déclaration du sous-traitant. Bien évidemment, la Cour rappelle le principe classique selon lequel, dès lors que le maître d’ouvrage a connaissance sur le chantier de l’existence et de la réalisation d’une prestation sous-traitée, il a l’obligation de mettre en demeure son cocontractant direct, l’entreprise principale, de faire connaître son sous-traitant par l’acte de déclaration de sous-traitance et d’agrément des conditions de paiement. Cette position est rappelée évidemment constamment par les juridictions administratives (cf. Conseil d’État, 28 mai 2001, n° 2005449, SA Bernard Travaux Polynésie). Cela dit, la Cour ajoute que cette responsabilité n’est pas automatique, et que la connaissance du maître d’œuvre concernant l’existence du sous-traitant ne peut pas être transposée sur celle du maître d’ouvrage. En effet, il considère que le maître d’ouvrage peut voir sa responsabilité engager dès lors que le sous-traitant démontre – et c’est à lui de le faire – qu’il a entretenu des relations directes et caractérisées, qui conduiraient à regarder la collectivité comme suffisamment informée de la nature de l’intervention de la société Peintaconcept sur le chantier, et des liens de celle-ci avec l’entrepreneur principal.

Un arrêt avec une double considération

Ainsi, il y a dans cet arrêt effectivement une double considération : d’abord sur la temporalité qui consiste à considérer que le sous-traitant qui s’est manifesté auprès du maître d’ouvrage qu’après la réception, bien évidemment obère l’éventuel engagement de responsabilité du maître d’ouvrage, dans la mesure où il lui appartenait positivement de se manifester, en cours de chantier, donc avant la réception, et de démontrer l’existence de relations directes et caractérisées, qu’il entretenait avec le maître d’ouvrage. À côté de cette exigence de temporalité, est également exigée la démonstration de la matérialité même de la relation qu’il entretenait avec le maître
d’ouvrage. Ainsi, l’on peut caractériser cette jurisprudence comme sévère à l’endroit du sous-traitant occulte, “abandonné” par son entreprise principale, dans la mesure où trois exigences s’imposent à lui : tout d’abord, il doit démontrer les caractéristiques d’une nature particulière de relations avec le maître d’ouvrage. Il ne suffit pas qu’il ait une relation ou des rapports avec le maître d’ouvrage. Il convient que cette relation soit directe. Le caractère direct de la relation peut interpeler puisque le seul lien contractuel que le sous-traitant bénéficie est celui qu’il a avec son cocontractant direct, c’est-à-dire l’entrepreneur principal ; mais ne présentant aucun lien contractuel avec le maître d’ouvrage. Il convient deuxièmement que ces relations soient caractérisées.
On pourrait considérer qu’il s’agit d’une implication, d’un approfondissement des relations dans la mesure où il y pourrait y avoir des échanges au cours des réunions de chantier, au cours de certains documents écrits ; qu’il y ait éventuellement des courriers échangés entre le maître d’ouvrage et le sous-traitant, même si dans la pratique, ceux-ci sont très rares puisque l’entrepreneur fait écran effectivement sur ce sujet. Et enfin, troisièmement, le sous-traitant doit aussi démontrer d’abord l’existence et la nature des liens qu’il entretient avec l’entrepreneur principal, ce qui suppose que le sous-traitant doit faire part au maître d’ouvrage de son contrat de sous-traitance. Or, l’on sait très bien que dans la pratique, les entrepreneurs principaux, quel que soit le marché, particulièrement les marchés de travaux, sont très réticents – il s’agit d’une litote – à autoriser leur sous-traitant à communiquer des documents contractuels démontrant le lien ou notamment les rapports financiers entretenus avec le cocontractant, l’entreprise principale.

Ce qu’il faut retenir de cet arrêt

Par conséquent, il y a un décalage entre les exigences théoriques d’engagement de responsabilité du maître d’ouvrage et la pratique de la sous-traitance dans les marchés de travaux, qu’ils soient publics ou privés. S’ajoute encore une exigence complémentaire, à savoir que la responsabilité du maître d’ouvrage peut être engagée que s’il a été constaté que ce dernier a négligé la présence du sous-traitant, alors qu’il en avait connaissance, pendant une période suffisamment longue, pour être considérée comme significative. (cf. Cour Administrative d’Appel de Bordeaux,
5 juin 2003, n° 99BX00538).

Rappelons également, dans un souci pratique, que la simple participation du sous-traitant à une réunion de chantier ne traduit pas une collaboration effective (une relation directe et caractérisée) avec le maître d’ouvrage, ni l’existence de relation directe et caractérisée (cf. Cour Administrative d’Appel de Paris, 23 novembre 2004, n° 00PA01809). Enfin, cet arrêt apporte un élément intéressant qui n’est pas nouveau dans la théorie, mais qui apporte une expression d’un principe, consistant à considérer qu’en l’espèce, si le maître d’ouvrage pouvait reprocher à son maître d’œuvre de ne pas l’avoir suffisamment informé de la présence de ce sous-traitant irrégulier sur le chantier, le sous-traitant irrégulier quant à lui, ne peut se prévaloir d’aucune faute du maître d’œuvre à son endroit. Ainsi, en conclusion, l’on parle souvent du privilège du sous-traitant et le fait qu’en tout état de cause, il obtiendra paiement, soit par l’entreprise principale, soit par le maître d’ouvrage, des prestations qu’il a engagées. Ce principe se heurte à une réalité bien différente, comme on vient de le voir dans cet arrêt. De nombreuses conditions sont posées pour engager la responsabilité du maître d’ouvrage. Premièrement, celle-ci n’est pas automatique, et deuxièmement, les choses se compliquent sérieusement pour le sous-traitant, dès lors que l’entreprise principale, son cocontractant, est défaillante, comme c’est le cas en l’espèce. Le sous-traitant se retrouve alors seul face au maître d’ouvrage à devoir démontrer les éléments qui viennent d’être développés.

Par conséquent, le maître d’ouvrage est au final tout de même relativement protégé, quant à un engagement automatique de la responsabilité qu’un sous-traitant occulte pourrait lui opposer.

L’offre anormalement basse : actualités jurisprudentielles et Nouveau Code de la commande publique


Les offres anormalement basses sont toujours un sujet sensible lors d’un appel d’offre, et le secteur du sport ne fait pas exception. Une offre peut être qualifiée d’anormalement basse si son prix ne correspond pas à une réalité économique. Le rejet de l’offre au motif qu’elle est anormalement basse doit, dans tous les cas, être motivé. Mais tout n’est pas si simple. Explications.

Le Nouveau Code de la commande publique, entré en vigueur le 1er avril 2019, dispose en son article L. 2152-5 : “Une offre anormalement basse est une offre dont le prix est manifestement
sous-évalué et de nature à compromettre la bonne exécution du marché.”L’article L 2152-6 développe quant à lui les démarches que l’acheteur public doit mettre en œuvre, dès lors qu’il rencontre
une telle situation. En effet, il est prévu
que “L’acheteur met en œuvre tous moyens lui permettant de détecter les offres anormalement basses. Lorsqu’une offre semble anormalement basse, l’acheteur exige que l’opérateur économique fournisse des précisions et justifications sur le montant de son offre. Si, après vérification des justifications fournies par l’opérateur économique, l’acheteur établit que l’offre est anormalement basse, il la rejette dans des conditions prévues par décret en Conseil d’État.”

Le Conseil d’État a jugé qu’une offre sans aucune marge bénéficiaire ne doit pas automatiquement être considérée comme étant anormalement basse

Le comportement que l’acheteur public doit adopter

Ainsi, le Code de la commande publique, dans la droite ligne de la jurisprudence antérieure et des dispositions textuelles du Code des marchés publics anciennement
en vigueur, reprend le même “protocole” à adopter par l’acheteur public, en quatre étapes itératives : la détection, la demande d’explication au candidat concerné, l’appréciation de la pertinence
des explications, et enfin l’admission ou le rejet de l’offre. Ces étapes préconisées par les textes sont reprises à la partie réglementaire du Code de la commande publique, aux articles
R. 2152-3 à R. 2152-5. Ainsi, d’un point de vue textuel, le Code de la commande publique ne modifie pas sur le fond, ni sur la forme, la définition de l’offre anormalement
basse, ni même le comportement que l’acheteur public doit adopter.
En effet, il s’en remet à la définition jurisprudentielle qui a été posée par le Conseil d’État, le 23 mai 2013, dans son arrêt du Conseil d’État (n° 366606 du Ministère de l’Intérieur c/ société ARTEIS).

La problématique de l’offre sans marge et de l’écart de prix important entre deux offres

En revanche, ce qui est intéressant d’analyser et de relever, ce sont les nouveaux éclairages que le Juge administratif a donnés sur les critères de la détection de l’offre anormalement basse.
En effet, à raison de plusieurs jurisprudences, l’on ne peut que faire le constat que le Juge administratif ne facilite pas le travail d’analyse de l’acheteur public quant à la détection de l’OAB (Offre anormalement basse). En effet, le Conseil d’État a jugé qu’une offre sans aucune marge bénéficiaire ne doit pas automatiquement être considérée comme étant anormalement basse (Conseil d’État, 22 janvier 2018, n° 414860, commune de VITRY-LE-FRANÇOIS).
Ainsi, il aurait été aisé de considérer que dès lors que le prix ne contient pas de marge bénéficiaire, celui-ci doit être assimilé à un coût de revient, et aurait pu éventuellement être considéré comme anormalement bas. Il n’en a pas été ainsi. De la même manière, dès lors que l’acheteur public constate un écart de prix considérable effectivement entre deux offres, cela ne suffit pas à caractériser à lui seul une offre anormalement basse (Conseil d’État, 18 juillet 2018, n° 417421, Société SERVICES THERMI SANI).

Une offre qui s’apprécie au regard de son prix global

Enfin et surtout, dans le cadre d’une décision du 13 mars 2019 (Conseil d’État, 13 mars 2019, n° 425191, Société SEPUR), le Conseil d’État a effectivement posé la règle selon laquelle le prix anormalement bas d’une offre s’apprécie non pas au regard des différentes lignes de prix (du BPU par exemple), mais au regard de son prix global, selon une approche holistique.

Ainsi, le Conseil d’État a précisé que l’existence d’un prix paraissant anormalement bas, au sein de l’offre d’un candidat, pour l’une seulement des prestations faisant l’objet du marché, n’implique pas à elle seule le rejet de son offre comme anormalement basse, y compris lorsque cette prestation fait l’objet d’un mode de rémunération différent, ou d’une sous-pondération spécifique au sein du critère prix.
Ainsi, le Conseil d’État considère qu’il doit être pris en compte l’offre globale de prix pour juger que l’offre est anormalement basse, et ne pas faire une approche à petite échelle de chaque élément de prix. Le prix anormalement bas d’une offre s’apprécie, en effet, au regard de son prix global. Par conséquent, l’acheteur public devra effectivement avoir une approche non pas par lignes de prix, mais devra estimer si le montant global de l’offre n’est pas “manifestement sous-évalué, ni de nature à compromettre la bonne exécution du marché”. Évidemment, nous pouvons considérer que cette approche apparaît, d’un point de vue économique, cohérente dès lors que ce n’est pas parce qu’un candidat décide de ne pas facturer une prestation, par exemple que son offre financière n’est pas économiquement viable.

Un travail d’analyse loin d’être facile

Cela dit, encore une fois, cette évolution jurisprudentielle ne facilite pas, et va plutôt néanmoins compliquer le travail d’analyse des acheteurs, dès lors qu’il leur appartiendra de déterminer pour chaque cas d’espèce si la ou les prestations, par exemple non facturées, sont essentielles à la bonne exécution du contrat, et si son absence de chiffrage par un opérateur économique est susceptible de compromettre, dans sa globalité ou pas, la bonne exécution des prestations proposées.

Les offres anormalement basses seront dès lors anormalement difficiles à détecter !

Conseil d’État, n°426932, Conseil régional de l’ordre des architectes des Pays de la Loire, du 3 juin 2020


Les Juges du Palais royal viennent de réduire le pouvoir de « nuisances juridictionnelles » des CROA ( conseils régionaux de l’ordre des architectes) en leur déniant, par principe, la qualité pour agir en justice à l’encontre d’un marché de conception-réalisation, par la voie d’un recours de pleine juridiction ( dit recours « Tarn-et-Garonne »), en considérant que la nature même d’un tel marché ne saurait lésé les intérêts collectifs dont ils ont la charge, de façon suffisamment directe et certaine.

Conseil d’Etat, n°435982, Société CLEAN BUILDING, du 27 mai 2020,


Cet arrêt pose le principe qu’un requérant, candidat évincé à l’obtention d’un marché public est recevable à agir sur le fondement d’un référé pré contractuel ( art L 551-1 du CJA) en se prévalant de l’irrégularité de l’offre de la société attributaire, même si son offre est elle-même irrégulière.

Par cette nouvelle approche, le Conseil d’État opère un revirement de jurisprudence. En effet, depuis l’arrêt “Smirgeomes” de 2008 (CE, Section, 3 octobre 2008, n°305420, publié au recueil Lebon), le requérant doit démontrer que les manquements qu’il invoque sont « susceptibles de le léser ». Dans ce cadre, le Conseil d’État jugeait en 2012 (CE, 11 avril 2012, n° 354652, mentionné aux tables du Recueil) que “le choix de l’offre d’un candidat irrégulièrement retenu est susceptible d’avoir lésé le candidat qui invoque ce manquement, à moins qu’il ne résulte de l’instruction que sa candidature devait elle-même être écartée, ou que l’offre qu’il présentait ne pouvait qu’être éliminée comme inappropriée, irrégulière ou inacceptable.” Autrement dit, l’irrégularité de l’offre du requérant empêchait ce dernier d’obtenir l’annulation de la procédure. Ce n’est donc plus le cas.

Le Conseil d’État se conforme ainsi désormais à la jurisprudence européenne (CJUE, 5 septembre 2019, Lombardi, Aff. C-333/18). Et, comme le souligne Gilles Pellissier, rapporteur public, dans ces conclusions : cette nouvelle approche permet de “garantir l’effet potentiellement utile du recours qui est à la fois d’éviter que le contrat soit attribué à une offre irrégulière et de donner une chance aux candidats évincés de présenter de nouvelles offres régulières dans le cadre d’une nouvelle procédure régulière, rétablissant ainsi les conditions d’une égale concurrence.”

Marché public et autoévaluation des critères de sélection des offres : Conseil d’Etat, n°418460, du 22 novembre 2019, Société AUTOCARS FAURE.


L’autoévaluation des candidats sur les critères de sélection est possible si et seulement si le résultat de cette auto-évaluation est vérifiable par l’acheteur public au stade de l’analyse des offres, et non pas en cours d’exécution du contrat.

 

Cet arrêt apporte deux enseignements de taille :

 

  • Tout d’abord, elle apporte une mise en application de la jurisprudence Commune de Belleville-sur-Loire selon laquelle une méthode de notation (définie librement par l’acheteur public et quelque ce soit le montant du marché) est irrégulière si elle prive de portée utile les critères ou sous-critères ou neutralise leur pondération.

 

En l’espèce, les Juges de palais royal indiquent que l’autoévaluation par les candidats, méthode de notation qui avait été choisie par le département de l’Isère, est une méthode de notation illégale, privant de portée utile les critères ou sous-critères en ce que le  résultat de cette autoévaluation n’est pas vérifiable ou vérifiée par l’acheteur au stade de l’analyse des offres.

 

 

  • Le deuxième apport de cet arrêt réside dans la réaffirmation de la distinction irréductible entre critères de sélection des offres et conditions d’exécution d’un marché.

 

En l’espèce, le Conseil d’État  sanctionne le fait que l’acheteur public entendait établir la note issue de l’autoévaluation comme référence pour la détermination de la note annuelle « qualité » et le calcul d’éventuelles pénalités en cas de manquement à cet engagement.

 

 

L’autoévaluation par le candidat est régulière si la note « choisie » est vérifiable par l’acheteur public au stade des offres, et non pas en cours d’exécution du contrat.

 

 

 

Sylvain SALLES

Avocat associé

Spécialiste en droit public, droit de la commande publique

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